Sous la présidence de Patrice Talon, président de la République, chef de l’État, chef du gouvernement, le conseil des ministres s’est réuni mercredi 23 avril 2025. Suite au compte rendu de la recrudescence de cas d’ulcérations de jambes dans certaines localités du Bénin, le conseil a instruit le ministre de la Santé à l’effet de renforcer sa stratégie de communication relative à l’ulcère de Buruli. On parle de lésions très étendues avec des comorbidités susceptibles d’entraîner de très longs séjours hospitaliers et des complications graves pouvant conduire au décès. Comprendre l’ulcère de Buruli, c’est à travers cet entretien avec Docteur Abdel Akim Hounkponou, médecin compétent en ulcère de Buruli et ulcère chronique.
Matin Libre : Qu’est-ce que l’ulcère de Buruli et pourquoi l’appellation ulcère de Buruli ?
Dr Abdel Akim Hounkponou : Merci. L’ulcère de Buruli, pour résumer, est une maladie infectieuse qui est due à un agent pathogène qu’on appelle mycobactérium ulcérans. Selon l’Organisation mondiale de la santé, c’est la troisième infection mycobactérienne la plus connue après la tuberculose et la lèpre. C’est une maladie qui sévit sur un mode endémique chez les populations pauvres résidant dans des regions marécageuses et près des cours d’eau. Les lésions touchent avec prédilection la peau mais aussi les structures osseuses. Buruli est le nom d’un village oungandais où des centaines de cas avaient été rapportés en 1960 par un auteur appelé Clincey.
Comment le contracte-t-on ?
D’abord, je vais vous dire que le mode de transmission de cette maladie jusqu’à nos jours est encore mal élucidé. On pense qu’il serait par voie transcutanée, après les piqûres par certains insectes aquatiques ; les piqûres par les herbes et les plantes aquatiques. Les micro traumatismes de la peau sur des régions contaminées favoriseraient la pénétration de l’agent pathogène qui arrive au niveau du tissu sous cutané, se prolifère, secrète une toxine : le mycolactone qui provoque la nécrose des adipocytes et la prolifération du germe. Et pour être plus clair, si vous me demandez si cette maladie est contagieuse, je peux vous dire que le mode de transmission homme à homme n’est pas confirmé.
Quand soupçonner qu’une lésion cutanée est ulcère de Buruli ?
De manière récapitulative, il faut retenir que toute lésion que vous verrez sur la peau de quelqu’un ou toute lésion dermatologique qui survient chez quelqu’un qui réside dans une zone d’endémie ou qui a eu un séjour en zone d’endémie peut être considérée comme une lésion d’ulcère de Buruli. Si même vous êtes le plus riche de la ville de Cotonou et que vous allez en congé ou en vacances dans une zone d’endémie d’ulcère de Buruli, dès que vous revenez dans votre zone de confort et qu’on suspecte ou on découvre une lésion sur votre corps, on est en droit de suspecter que vous avez contracté l’infection à mycobactérium ulcérans.
Quand on parle de l’ulcère de Buruli, au Bénin, quelles sont les zones endémiques?
Si vous typez précisément le Bénin, je peux vous dire que sept foyers ont été dénombrés. Il s’agit du Mono, du Couffo, le Sud du Zou, l’Atlantique, le Littoral, l’Ouémé et le Plateau.
Pourquoi qualifie-t-on l’ulcère de Buruli de Maladie tropicale négligée ?
Parlant de Maladie tropicale négligée, ça sous-entend les zones intertropicales sous les climats chauds et humides. Si on devrait citer toutes les zones endémiques, on peut citer l’Australie, l’Amérique latine, l’Afrique centrale, évidemment l’Afrique occidentale dont le Bénin. Cette maladie a été décrite pour la première fois en 1948 par un auteur qu’on appelle Mac Callum et ses collaborateurs. C’était en Australie. Et depuis cette première description, il a fallu en 1998, soit 50 ans plus tard, pour que l’Organisation mondiale de la santé commence à s’en occuper, à prendre en charge cette maladie qui a été longtemps négligée. D’où sa classification en tant que maladie tropicale négligée.
Les manifestations de l’ulcère de Buruli
Parlant des manifestations de l’ulcère de Buruli, nous allons distinguer les atteintes cutanées et les atteintes osseuses. Parlant des atteintes cutanées, elles peuvent se présenter soit sous forme de papule : c’est généralement une lésion de taille inférieure à un centimètre. Ensuite, elles peuvent se présenter sous forme d’un nodule : c’est une lésion qui atteint la peau et le tissu sous-cutané. Généralement, sa taille est comprise entre un et deux centimètres. La lésion peut se présenter aussi sous forme de plaque. C’est une lésion qui est ferme, indolore et surélevée, et la peau en regard est dépigmentée. La lésion peut se présenter également sous forme d’œdème. Il est généralement diffus et ne prend pas le godet et peut parfois s’étendre à tout le membre. Enfin l’ulcère. Notons que toutes les lésions élémentaires papule, nodule, plaque et œdème peuvent évoluer et aboutir à un ulcère. L’ulcère étant une perte de substances cutanées à bords creusés avec une induration périphérique. La base nécrosée présente un fond blanchâtre cotonneux. L’ulcère est généralement indolore sauf en cas de surinfection bactérienne.
En dehors de ces atteintes cutanées, nous allons distinguer les atteintes osseuses : l’Ostéomyélite, les Ostéites, les fractures pathologiques. L’Ostéomyélite due à l’ulcère de Buruli est au début, asymptomatique. Vient ensuite un gonflement douloureux bien localisé en regard de la structure osseuse atteinte, puis apparaît une fistule par laquelle coulent des substances nécrotiques. Après une incision et un écartement de la zone, on observe du tissu gélatineux dans la cavité osseuse. L’Osteite est due à une infection par contiguïté d’un foyer ulcéré sus-jacent. En réalité, là, on va observer la perte totale du tissu mou qui va exposer l’os. L’os va se dévasculariser et se nécroser. L’Ostéomyélite, tout comme l’Ostéite peuvent aboutir aux fractures pathologiques et conduire à une fragilisation excessive de l’os lors d’un curetage osseux. Les deux lésions, cutanées et osseuses, ont été regroupées et classées en trois catégories.
On distingue les lésions de catégorie I : ce sont des lésions uniques de taille inférieure à 5 cm. Les lésions de catégorie II : ce sont des lésions uniques de taille comprise entre 5 et 15 cm. Les lésions de catégorie III qui sont sous-classées également 3a, 3b, 3c. Les 3a, ce sont des lésions uniques de taille supérieure à 15 cm, et l’Ostéomyélite. Les 3b, ce sont des lésions situées à un endroit critique du corps humain. Ça peut être même une petite lésion, mais une fois que c’est situé à un endroit critique du corps humain, c’est classé 3b. Les endroits critiques du corps humain peuvent être les yeux, le sein, les organes génitaux ou la région maxillo-faciale. Les lésions de catégorie 3c, ce sont de petites lésions, mais qui sont multiples.
Que retenir de la mortalité et de la morbidité dans l’ulcère de Buruli ?
Je vais d’abord vous préciser que ce sont des termes de santé publique. Une mortalité a rapport à la mort, au taux de décès lié à une maladie, le pourcentage sur un échantillon de population donnée. La morbidité a plus rapport aux complications, soit sous traitement, soit sans traitement, le pourcentage de patients ayant présenté une complication sur un échantillon de population étudiée. La mortalité dans l’ulcère de Buruli n’est pas nulle mais elle est trop faible. Cependant, la morbidité est lourde. Lourde en ce sens qu’une étude a été faite et a montré que chez des patients qui avaient des lésions guéries de l’ulcère de Buruli, sur un échantillon de population étudiée, 66% avaient un handicap à des dégrés variables.
Quelles sont les complications de l’ulcère de Buruli ?
Parlant des complications de l’ulcère de Buruli, je vous dirai que c’est d’abord la situation des lésions à un endroit critique du corps humain qui constitue la première complication. Lorsque vous avez une lésion sur les yeux, sur la région maxillo-faciale, par exemple, ça devient une complication. Lorsque vous avez une lésion sur le sein, que ce soit un homme ou une femme, sur les organes génitaux, c’est déjà un signe de complication. En dehors de ces signes de complication, vous savez que naturellement, l’ulcère de Buruli est indolore. Lorsque les douleurs apparaissent, c’est déjà un signe de complication. En dehors de ces douleurs, il y a des rétractions cicatricielles. Elles peuvent entraîner une limitation des mouvements articulaires, para-articulaires, ce qui peut conduire à des raideurs articulaires, puis ensuite à une ankylose. La raideur articulaire, je peux la définir comme une limitation douloureuse de l’articulation. Et l’ankylose, c’est le stade terminal où l’articulation est carrément bloquée.
Sur quoi repose le traitement de l’ulcère de Buruli ?
Le traitement de l’ulcère de Buruli, c’est un tout. Il y a d’abord l’accueil des patients, les conditions dans lesquelles on met les patients, l’assurance, l’ambiance amicale et chaleureuse. Ensuite, la prise en charge médicale qui est basée sur un protocole de l’Organisation mondiale de la santé. En dehors de ce traitement médical, il y a également les soins de pansement locaux qu’on fait périodiquement selon l’organisation de chaque structure hospitalière. Ces pansements sont adaptés selon la nature de la lésion de chaque patient. Après tout ceci, on a également la prise en charge chirurgicale selon la catégorie de la lésion, l’appréciation du médecin et l’évolution de la lésion en fonction du traitement médical. L’autre prise en charge qui est plus importante, c’est la rééducation, réadaptation fonctionnelle.
Est-ce qu’on peut prévenir l’ulcère de Buruli ?
Autrefois, j’étais étudiant en médecine. A un certain moment, je pensais que l’ulcère de Buruli était de la littérature. Mais j’ai dû y faire face. J’avais commencé à réfléchir et à observer quelque chose qui n’est pourtant pas dans les livres. Le mode vestimentaire des patients, des enfants en âge scolaire que je voyais malades. Pour la plupart, ils étaient mal habillés. C’était des pantalons ou culottes sales. Des chemises qui laissaient des parties découvertes comme l’avant-bras. Même les adultes que je voyais malades, quand je les observais, ils étaient mal habillés. Je pense qu’on devrait aussi essayer d’investir dans le mode vestimentaire des populations résidant dans des zones rurales, dans des régions marécageuses. Leur offrir des tenues vestimentaires, comme des pantalons, des chemises manches longues, pour les prévenir des piqûres d’insectes; des képis et chaussettes aussi. En dehors de ça, ce qui pourrait constituer la prévention, c’est la sensibilisation accrue. Un mode de sensibilisation accrue auquel j’ai pensé, c’est le ratissage. Le ratissage est un système de porte à porte où il faut mobiliser une équipe, et passer peut-être de maison en maison, les quartiers ou les maisons de jeunes ; aller dans les écoles, expliquer aux élèves, aux maîtres ce qu’est l’ulcère de Buruli. Je pense que la sensibilisation aussi n’est pas qu’en zone endémique. Elle doit prendre en compte les zones non endémiques, les grandes villes.
Nous abordons un côté sensible de cette thématique sur l’Ulcère de Buruli. Est-ce que docteur, vous croyez au traitement traditionnel, au traitement de l’Ulcère de Buruli par exemple par les plantes et autres?
Je vais vous répondre de manière cartésienne sur des données statistiques. Sur une étude comparative faite sur les populations africaines en général, les populations australiennes et japonaises, il ressort que 33% des patients africains atteints de l’ulcère de Buruli avaient des lésions de catégorie I ; 35% avaient des lésions de catégorie II et 32% des lésions de catégorie III. Concernant les populations australiennes, 90% avaient des lésions de catégorie I ; 5% des lésions de catégorie II et 5% des lésions de catégorie III. Concernant les populations japonaises, 81% avaient des lésions de catégorie I et 19% des lésions de catégorie II et 00% pour les lésions de catégorie III. On déduit évidemment de cette étude que les populations africaines ont des lésions de catégorie II et III beaucoup plus importantes, donc des lésions plus étendues et plus graves. Cela suppose que ces populations ne se font pas dépister à temps et donc soit par méconnaissance de la maladie, soit par le choix d’un traitement traditionnel, ils compromettent la possibilité de guérison sans séquelles, c’est-à-dire sans handicap. Comparativement aux populations australiennes et japonaises qui se font dépister tôt avec une probabilité de guérison sans séquelles.
L’ulcère de Buruli serait-il un envoûtement ou un mauvais sort comme le pensent certains ?
Lors des séances de sensibilisation au cours de nos différents déplacements, nous avions eu à expliquer aux populations à l’époque, que l’ulcère de Buruli n’était pas un envoûtement. Ce n’était pas un mauvais sort. C’est une réalité. Mais cette réalité, il faut la sensibilisation pour l’expliquer encore. Une sensibilisation accrue, un processus de ratissage.
Entretien réalisé et transcrit par Fifonsi Cyrience KOUGNANDE