La prise en charge holistique des victimes de Violences basées sur le genre (Vbg) reste une préoccupation majeure malgré les efforts consentis. Pièce maitresse dans le processus de prise en charge, le certificat médical n’est délivré gratuitement aux victimes que sur réquisition d’un officier de police judiciaire ou du Procureur de la République. Dans un entretien exclusif accordé à votre journal, Hermine Bokossa, Spécialiste en genre et gestionnaire de projet plaide pour des solutions flexibles. Lire l’entretien !

Au Bénin, la lutte contre les VBG reste une préoccupation majeure. Si des efforts sont consentis pour la prévention et surtout la répression, les données statistiques sont encore loin d’être rassurantes. Doit-on estimer que les initiatives restent infructueuses ?

Je pense que le fait que les statistiques que nous avons aujourd’hui soit en hausse par rapport aux années précédentes (quand on analyse par exemple la croissance des données entre 2020 et 2023) peut-être justifié par plusieurs raisons :  les initiatives de prévention et de sensibilisation de l’Etat à travers l’Institut nationale de la femme, du ministère des affaires sociales ainsi que les interventions des organisations de la société civile et autres acteurs, encouragent les victimes à la dénonciation et à briser le tabou autour des VBG. Aujourd’hui il y a de plus en plus de personnes qui peuvent identifier les situations de violences basées sur le genre et les dénoncer. Avant, les gens pouvaient subir des violences sans même savoir que ce n’était pas normal et qu’il existait des moyens de dénonciations et de protection. – Aussi, il y a-t-il l’apparition et l’évolution de nouvelles formes de violences basées sur le genre telles que les violences numériques qui n’étaient pas très documentés par le passé. Enfin, changer les mauvaises pratiques qui favorisent l’évolution des VBG est un long processus et je pense que les initiatives contribuent à changer les choses. Mais il reste encore beaucoup de chemin à faire.

Outre la prévention et la répression, la prise en charge des victimes requiert une attention particulière. La prise en charge holistique tant souhaitée peine à être chose effective. Qu’en est-il des obstacles ou défis à relever, selon vous?

Bien que des efforts soient faits, il existe encore effectivement beaucoup de défis par rapport à la prise en charge holistique des survivantes de VBG. Il faut préciser que cette prise en charge holistique comporte :

-La prise en charge médicale : on peut préciser ici l’octroie des soins médicaux et la délivrance du certificat médical qui est un document très important dans notre contexte. Une évolution notable est à souligner par rapport à la délivrance de ce document. Il s’agit de la prise de l’arrêté interministériel N°016/MASM/MS/MJLMISP du 08 juillet 2022. Il fixe les conditions de délivrance de ces certificats pour les victimes de VBG au Bénin.

-La prise en charge psychosociale matérialisée par l’assistance psychologique de la survivante, l’assistance sociale à travers par exemple l’hébergement d’urgence qui reste un véritable défi dans notre contexte, la médiation familiale au besoin, l’aide à la réinsertion sociale, etc ;

-La prise en charge juridique et judiciaire qui implique un accompagnement (financier et technique) et une assistance dans les démarches juridiques et judiciaires

-La réintégration socioéconomique à travers la formation à des AGR, l’appui à travers des micro-crédits, le soutien à l’insertion professionnelle, etc.

Le fameux certificat médical qui constitue une pièce maitresse dans le processus est difficile à obtenir. Qu’est ce qui explique cela et que préconisez-vous?

Avant d’en venir à la difficulté, parlons un peu du contexte.

Avant l’arrêté interministériel fixant les conditions de délivrance du certificat médical aux victimes de violences basées sur le genre, ce certificat était déjà censé être gratuit, conformément aux dispositions du Code pénal, lorsque la survivante présentait une réquisition délivrée par le procureur de la République ou le commissaire de police, adressée au médecin traitant. Ce dernier devait alors prendre en charge la survivante et produire le certificat médical, pris en charge par la justice criminelle. Toutefois, en pratique, le remboursement des frais aux médecins prenait beaucoup de temps. En raison de cette lenteur, il arrivait que les victimes soient invitées à payer elles-mêmes les frais de délivrance du certificat médical, malgré la réquisition en leur possession.

L’arrêté interministériel N°016/MASM/MS/MJLMISP du 08 juillet 2022, fixant les conditions de délivrance de ces certificats pour les victimes de violences basées sur le genre (VBG) au Bénin, a permis de préciser les conditions de délivrance du certificat médical et de réaffirmer sa gratuité lorsque la victime est en possession d’une réquisition émise par le commissaire de police ou le procureur de la République ; statuer sur les situations où les victimes s’adressent directement à un médecin, notamment en raison de la gravité de leur état de santé. Dans ce cas, le médecin examine la victime, établit le certificat médical, puis l’oriente vers un officier de police judiciaire ou tout autre agent habilité, qui émettra la réquisition a posteriori ; harmoniser le tarif standard pour la délivrance d’un certificat en l’absence de réquisition, fixé à 10.000 FCFA.

Grâce à cet arrêté, les victimes disposant d’une réquisition peuvent désormais obtenir gratuitement leur certificat médical. Toutefois, l’obtention de la réquisition et la prise en charge par l’État nécessitent plusieurs démarches administratives, impliquant le commissariat, le centre de santé, les guichets uniques de protection sociale, tribunal, selon la situation de la victime.

Ce parcours est souvent jalonné de frais connexes — frais de déplacement de la victime et de son accompagnant, frais d’hospitalisation le cas échéant, examens médicaux complémentaires comme un test de grossesse, etc. — qui ne sont pas couverts par le certificat médical. Ces coûts constituent encore des obstacles majeurs à l’accès aux soins et à la délivrance du certificat, en particulier pour les victimes en situation de grande précarité économique.

La mise en place de solutions flexibles, tenant compte des contraintes administratives spécifiques aux victimes de VBG, permettrait de rendre leur parcours de soins plus fluide et d’améliorer l’accès au certificat médical. Enfin, il est crucial que les procédures de remboursement des frais engagés par les agents de santé soient appliquées dans des délais raisonnables, afin de garantir leur pleine collaboration dans la délivrance effective des certificats médicaux.

Il est également souhaité la mise en place des CIPEC dans tous les départements du pays. Pensez-vous que cela est vraiment indispensable pour une meilleure prise en charge des victimes?

Je pense qu’il est indispensable d’avoir des hébergements d’urgence dans tous les départements, dans toutes les communes du pays. Et les CIPEC serait idéal pour une prise en charge holistique.

Malgré un Arsenal juridique renforcé et un dispositif mis en place, les violences faites aux femmes persistent. Pourquoi cela et que préconisez-vous pour inverser la tendance ?

Au-delà des initiatives de prévention et de répression en cours qu’il faut d’ailleurs renforcer, Je pense qu’il faut beaucoup investir dans l’éducation des plus jeunes sur les questions de VBG. Aussi bien des jeunes garçons que des filles. Les parents, les médias, l’école, ainsi que toutes les communautés ont ainsi un grand rôle à jouer pour réduire les violences basées sur le genre.

Les violences basées sur le genre ne concernent pas que les femmes. Les hommes en sont également victimes. Pourquoi on s’intéresse peu à la situation des hommes selon vous?

Je pense que c’est en raison des statistiques plus élevées chez les femmes qu’il y a plus d’actions de prévention sur cette cible. En réalité, au niveau de l’OFFE – l’Observatoire de la Femme, de la famille et de l’enfant  qui est la structure du MASM qui s’occupe de la collecte des données à travers le SIDDOFFE, il existe des indicateurs de collecte de données réguliers sur les violences basées sur le genre désagrégé par sexe. Et donc, ce n’est pas laissé de côté.

Une victime de VBG, que doit-elle faire?

Contacter l’INF au 114 ou sur le 0151078888, se rendre au GUPS le plus proche, au commissariat le plus proche, rechercher de l’aide auprès des ONG, rechercher de l’aide pour sortir du cycle de violence.

Avez-vous un appel à lancer au gouvernement pour l’effectivité d’une prise en charge holistique des victimes au Bénin ?

Pour l’effectivité d’une prise en charge holistique, il est important de :

-Veiller à l’application et au renforcement du cadre légal déjà existant en matière de lutte contre les VBG ;

-Prioriser en collaboration avec les différents acteurs et OSC, des solutions flexibles de prise en charge prenant en compte toutes les composantes de la prise en charge holistique des survivantes de VBG.

-Veiller à la mise en place et au fonctionnement des CIPEC ou autres modèles de prise en charge complète dans l’ensemble des départements du pays.

Réalisé par Aziz BADAROU (Collaboration avec Alliance Droits et santé)

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