Allez-vous entendre », aurait dit Patrice Talon le 28 avril dernier, lors d’une rencontre à huis clos avec les chefs des deux blocs politiques qui soutiennent son action. En apparence, le message était limpide : jouer collectif, éviter les coups tordus, et organiser une désignation apaisée du futur ticket présidentiel entre l’Union progressiste Le Renouveau (Up-R) et le Bloc Républicain (BR). Mais à peine les portes refermées et les poignées de main échangées, Joseph Djogbénou a sorti la dague.
À la surprise générale – ou plutôt au mépris de la parole donnée – le président de l’Up-R convoque, moins d’une semaine plus tard, une réunion confidentielle à sa résidence d’Abomey-Calavi. Là, devant un cercle choisi, il ne prend même plus la peine de feindre le débat : c’est moi le candidat naturel, aurait-il lâché, sûr de son fait, sûr de son droit, s’appuyant de façon cavalière sur l’article 82 du règlement intérieur du parti. Ce texte, jamais interprété en ce sens, deviendrait subitement le fondement d’une investiture unilatérale.
Un coup de force masqué sous le vernis juridique
Ce que dénonce une frange croissante de l’Up-R, c’est moins l’ambition de Djogbénou que la méthode : un passage en force habillé de légalisme discutable. Pour ces cadres choqués, le président du parti ne saurait se transformer, sans consultation, ni primaire, en candidat imposé. La manœuvre contredit l’esprit même des discussions engagées par Talon : organiser des primaires dans chaque parti, puis croiser les résultats pour composer un ticket représentatif des deux familles politiques.
En piétinant cet accord à peine acté, Djogbénou révèle ce que certains murmurent déjà : une volonté de s’imposer au parti et de court-circuiter les mécanismes internes. Une posture jugée périlleuse par plusieurs ténors de l’Up-R, pour qui Djogbénou s’inspire des dérives autoritaires observées ailleurs, notamment au PDCI de Côte d’Ivoire, où les candidatures forcées ont fini par fracturer les partis.
L’esprit du système partisan trahi
Le comble, pour les observateurs avertis, c’est que Joseph Djogbénou fut l’un des principaux architectes de la réforme du système partisan. Aujourd’hui, il se préoccupe moins des principes. La réforme visait à sortir des logiques de parti-propriété, à donner voix au débat interne, à éviter les messianismes autoproclamés. Or, voilà qu’il se comporte en « propriétaire » absolu de l’Up-R, comme si la volonté collective devait s’aligner sur ses ambitions personnelles.
L’agacement est palpable jusque dans les rangs proches du pouvoir. Certains y voient une mise en danger de l’unité de la mouvance présidentielle, d’autres une tentative d’arracher un ticket présidentiel en mettant Talon devant le fait accompli. Difficile de ne pas y lire un aveu d’impatience, voire de panique : à mesure que des figures comme Bio Tchané, Adam Soulé ou même des outsiders remontent dans les sondages internes, Djogbénou semble avoir choisi la fuite en avant.
Un jeu dangereux
Ce forcing solitaire pourrait bien être contre-productif. En s’érigeant en candidat naturel par décret personnel, Joseph Djogbénou risque de précipiter l’éclatement de l’Up-R et d’attiser des rancœurs durables. Il semble défier les règles qu’il avait lui-même contribué à poser. La question n’est plus de savoir s’il est légitime, mais s’il est loyal. Et dans une majorité où tout le monde se regarde en chiens de faïence, cette loyauté pourrait bien être la seule monnaie encore valable.
M.M