La lutte contre les violences basées sur le genre reste une préoccupation majeure du gouvernement béninois. Des efforts sont consentis, des programmes et initiatives à fort impact sont mis en œuvre sans oublier la mise en place d’un dispositif pour prévenir, réprimer et surtout assurer la prise en charge des victimes. Les lignes bougent-elles finalement ? La prise en charge holistique des victimes est-elle chose effective au Bénin ? Qu’en est-il des difficultés relatives à la délivrance du certificat médical ? Dans un entretien exclusif accordé à votre journal, le Directeur départemental du Littoral des Affaires sociales et de la Microfinance, Noah Agbaffa-Padonou apporte des clarifications. Lisez plutôt !
De la prévention à la répression des violences basées sur le genre, des efforts sont consentis avec à la clé, un arsenal juridique renforcé et un dispositif mis en place. Peut-on dire finalement que les lignes bougent ?
Les lignes ont plus que bougé. Parce qu’aujourd’hui, les personnes victimes de violences basées sur le genre sont prises en charge. Elles sont prises en charge depuis même la commission de l’acte. Et même tous les auteurs, ou si vous voulez, tous les acteurs impliqués, que ce soit la victime ou même l’auteur, sont aujourd’hui pris en charge d’une manière ou d’une autre. La victime, prise en charge de manière holistique aujourd’hui et l’auteur aussi pris en charge par la justice. Donc aujourd’hui, les lignes bougent et les lignes ont vraiment bougé.
Monsieur, le Directeur départemental des affaires sociales, nous allons nous intéresser beaucoup plus à la prise en charge des victimes. Il est reconnu la nécessité d’une prise en charge holistique et le gouvernement béninois s’inscrit bien dans cette dynamique notamment avec la prise du décret instituant la mise en place des Centres intégrés de prise en charge des victimes de violences basées sur le genre (Cipec-Vbg). La prise en charge holistique est-elle finalement une effectivité au Bénin ?
Elle est une chose effective. Parce qu’aujourd’hui, lorsqu’il y a une victime de violences basées sur le genre, le dispositif est mis en place aujourd’hui pour détecter et pour pouvoir, je dirais, pour véritablement détecter le cas. Parce que nous avons aujourd’hui la ligne 133 qui permet de dénoncer quand c’est un enfant qui subit une violence d’une manière ou d’une autre… Lorsque c’est un adulte aujourd’hui, il y a l’INF (Institut national de la femme) qui a mis en place aujourd’hui, une ligne verte. Donc vous comprenez que la détection, elle est aujourd’hui très précoce. On peut détecter facilement.
Et…il y a aujourd’hui beaucoup d’organisations de la société civile qui émaillent totalement le territoire national. Que ce soit les organisations de défense et droits de femmes, que ce soit les activistes, que ce soit les féministes, nous avons un maillage qui permet de pouvoir détecter facilement le cas. Et lorsque nous avons aussi les Gups (Guichet unique de protection sociale) qui sont l’autre porte d’entrée, nous avons aussi même les centres de santé aujourd’hui qui sont une autre porte d’entrée de détection de ces cas de violences basées sur le genre. Et lorsque le cas est détecté, la première des choses en fonction de l’entrée que nous avons, que nous pouvons identifier, lorsque c’est un Gups, il y a tout de suite un accompagnement psychologique.
Psychologique parce qu’avant toute autre chose, vous voyez que lorsqu’il y a une violence basée sur le genre, la personne a priori est traumatisée. Donc il faut tout de suite une prise en charge psychologique. Et lorsque la prise en charge est psychologique, et qu’il y a aujourd’hui, qu’on constate qu’il y a que ce soit des blessures ou autres, on réfère le cas aux soins de santé, tout de suite pour une prise en charge sanitaire.
…L’État a mis en place un système qui permet de ne pas aller du centre de santé à la police et autres. Mais dans un centre dédié, on peut retrouver pratiquement tous ces acteurs qui permettent de faire une prise en charge, une prise en charge holistique.
Là, nous allons trouver tout de suite un médecin qui est capable de prendre en charge cette fille ou de prendre en charge cette victime de VBG. Donc, et lorsque le médecin fait ses diagnostics, les soins sont apportés tout de suite. Même la sage-femme qui est là, si c’était une violence, si c’était une grossesse précoce, la sage-femme est capable d’offrir aussi tout de suite ses soins. Et lorsque cela est fait, la police étant là, la police aussi est tout de suite touchée pour pouvoir rechercher la victime. Donc la police touchée, recherche la victime et le cas est signalé tout de suite aussi à l’INF, qui a aussi son répondant aujourd’hui dans les CIPEC et même dans les GUPS. Et l’INF apporte une prise en charge juridique et même judiciaire tout de suite.
Il ne faut pas oublier, beaucoup de cas de violences sont portées directement vers la Criet, et l’INF se constitue partie civile pour pouvoir protéger la victime, pour pouvoir faire justice à la victime. Donc c’est une prise en charge totalement holistique qui est offerte aujourd’hui dans les CIPEC.
A vous entendre, on a l’impression que tous ses services sont disponibles déjà dans les Cipec. Est-ce cela ?
…Pas nécessairement à l’intérieur des CIPEC mais tout gravite autour du CIPEC pour que la prise en charge soit totalement holistique. C’est-à-dire que lorsque vous venez par exemple dans un CIPEC et que vous trouvez que l’officier de police n’est pas là, c’est qu’il est à côté et qu’il peut être à côté…donc il peut être invité en même temps. Lorsque la porte d’entrée, c’est peut être une ONG qui réfère directement au CIPEC, le CIPEC est dans le besoin d’apporter une prise en charge psychologique, psychosociale à la victime, il peut rapidement solliciter le Gups à côté…Donc, vous comprenez qu’autour du CIPEC, nous avons tous les services, même si les services ne sont pas nécessairement domiciliés dans ce centre-là, spécifiquement.
La mise en place des CIPEC est très saluée et lorsqu’on se réfère au décret, il est quand même recommandé que chaque département soit doté d’un CIPEC. Nous n’en avons que quatre (04) à ce jour. Ne percevez-vous pas qu’il y a une urgence ?
Nous ne sommes qu’à quatre, parce que c’est progressif. Vous aurez constaté que le CIPEC des collines, c’est tout récent. C’est dire que ce n’est pas oublié. Ça veut dire que petit à petit, on est en train d’installer les CIPEC et assurément, très vite, tous les autres départements pourront accueillir le CIPEC.
C’est une évidence qu’il y a l’urgence à mettre en place les CIPEC un peu partout. Mais vous comprenez aussi que c’est un processus. Et ce processus étant enclenché, il est facile pour nous de constater que ce processus de jour en jour se met vraiment en place…Vous voyez que petit à petit, l’effort est en train d’être fait et assurément vous comprenez que nous sommes dans un pays aux moyens relativement limités, mais les ambitions sont suffisamment grandes dans tous les cas.
De plus en plus, on parle des CIPEC virtuels. Que doit-on comprendre par ce concept et ou en sommes-nous en ce qui concerne la mise en œuvre ?
Les CIPEC virtuels, aujourd’hui, vous voyez, pour peu que je comprenne de la terminologie, nous pouvons faire beaucoup de choses sans nécessairement avoir les quatre murs…on peut totalement dématérialiser un certain nombre de dispositifs. Parce qu’aujourd’hui, vous vous rendez compte, l’Arcep a publié il y a quelques jours, son rapport, et l’Arcep montre que presque chaque béninois dispose aujourd’hui d’une carte sim….C’est là, une possibilité d’utiliser ces outils qui rapprochent les individus pour pouvoir offrir ces prestations sans nécessairement avoir des quatre murs pour pouvoir être utiles.
Où en est-on aujourd’hui concernant la mise en œuvre ?
Ce projet est en train d’être mûri…Un CIPEC virtuel comblera tellement beaucoup d’autres attentes et va favoriser la mise en place de ces CIPEC dans beaucoup d’autres régions, ou même de couvrir totalement le territoire national en peu de temps. C’est un projet qui se mûrit et qui sera fait très vite.
Dans le processus de prise en charge des victimes, le certificat médical constitue une pièce maitresse mais difficilement accessible selon des témoignages recueillis. Pourquoi ?
On ne dirait pas que le document est difficilement accessible, puisqu’aujourd’hui les officiers de police sont sensibilisés pour délivrer ce certificat. Donc, et comme on le sait dans presque toutes nos régions aujourd’hui, nous avons les postes de police d’arrondissement. Donc, les officiers de police sont relativement déjà proches de la population.
Et il suffirait. Ce qui se passe dans un peu de cas, c’est qu’il y a une victime, on se lève sans réquisition, on se lève et on va directement vers l’officier, vers le médecin et on veut que le médecin délivre déjà le certificat. Ce qui n’est pas évident parce que le médecin attend d’abord une réquisition.
Donc, il revient de sensibiliser. Ce que nous faisons tout le temps, d’informer, de communiquer autour, de montrer que lorsqu’il y a une victime, la porte c’est peut-être le Gups qui réfère directement vers l’officier de police qui délivre rapidement la réquisition et le médecin a alors tous les devoirs possibles de mettre en place ce certificat. Donc, c’est le fait de ne pas suivre le processus, c’est l’ignorance ou la méconnaissance de ce processus qui fait généralement que beaucoup disent cela.
Mais si la victime doit d’abord passer par l’Officier de police judiciaire, obtenir une réquisition avant de se faire délivrer un certificat médical, ne pensez-vous que le processus est déjà assez contraignant et qu’il faille veiller à sa simplification ?
Oui, dans tous les cas, cette problématique aujourd’hui est fortement discutée. On est en train de discuter pour voir comment nous pourrions alléger. Est-ce que la seule porte d’entrée, est-ce que la seule personne devant délivrer cette réquisition devrait être l’officier de police. Cette réflexion est en train d’être menée aujourd’hui pour voir est-ce que nous ne pourrions pas mettre en place, si on ne pourrait pas identifier d’autres acteurs qui sont peut-être très proches de la victime qui pourront facilement orienter vers le médecin pour la délivrance de celui-ci.
Cette réflexion est en train d’être menée et très sérieusement parce que l’on constate que oui, se déplacer vers un seul acteur, ce n’est qu’un seul acteur qui pourra délivrer la réquisition, cela handicape le processus qui est mis en place. Donc la réflexion est en train d’être menée aujourd’hui pour voir est-ce qu’on ne pourra pas identifier d’autres acteurs ou comment nous pourrions faire pour que très vite le médecin puisse dire oui, cette personne-là est véritablement victime de VBG et je pourrai délivrer le certificat.
Parce que si le médecin lui délivre et que ce n’est pas constaté… c’est-à-dire qu’il n’est pas gratuit. C’est-à-dire qu’il est pris en charge par l’État. Mais qui dit au médecin que celui-là est victime de VBG ? C’est là, la question en réalité. La question est en réalité là.
Si personne ne lui dit, ça veut dire que n’importe qui peut aller et réclamer ce certificat. Donc on veut d’abord s’assurer que c’est véritablement une victime de VBG qui en fait la demande.
Entre autres raisons évoquées pour justifier les difficultés relatives à la délivrance du certificat médical, l’insuffisance de gynécologues, le délai de remboursement des frais de certificat médical. Qu’en dites-vous ?
Non, c’est un processus. Et le processus est mis en place. On ne parlera pas de difficultés à rembourser le certificat. Puisque c’est entre plusieurs institutions. Et ces institutions se parlent. Les institutions se parlant, ce n’est pas à l’individu de dire oui à cause de ceci alors je ne le fais pas. Non, ça ne tient pas. Puisqu’au-delà de tout, c’est un devoir qui nous tient. C’est un devoir qui nous tient. Et au-delà même de ce devoir, c’est quand même de la responsabilité aussi. Et c’est du cœur qui parle. Donc on ne pourra pas prétendre du fait qu’on n’a pas été payé et pour cela alors, on ne va pas prendre en charge une victime qui se présente devant soi…
Ce n’est pas une raison. C’est vrai que c’est des entraves. C’est vrai que c’est des éléments qu’on pourrait peut-être se dire oui ça pourrait entraver mais a priori cela ne devrait pas parce que nous sommes face à l’urgence… Nous sommes face à une victime agonisante et on ne saurait dire parce que si je délivre aujourd’hui, on ne va pas me payer à temps et pour cela je vous le fais pas, ça ne tient pas.
Face au manque de gynécologues, des voix s’élèvent pour suggérer l’implication des médecins généralistes dans la délivrance du certificat médical. Qu’en pensez-vous ?
Pourquoi pas ? On pourrait, puisqu’eux-mêmes peuvent quand même faire un diagnostic…Mais ce qu’il faut, c’est de pouvoir former… Ce sera un palliatif…Maintenant, il va falloir l’encadrer. Il va falloir véritablement identifier les médecins généralistes, les former véritablement à l’identification de ces symptômes, à l’identification d’un fait de viol, un fait de VBG, s’ils sont qualifiés après ces formations, je trouve que ce sera une solution. Ce sera un palliatif.
Le gouvernement est-il déjà dans cette dynamique, celle d’impliquer les médecins généralistes ?
Je trouve que ça pourrait être un palliatif.
- Noah Agbaffa-Padonou, s’il vous était demandé de faire une analyse globale de la situation relative aux Violences basées sur le genre au Bénin. Que direz-vous ?
Quand nous consultons nos statistiques, les statistiques du ministère des Affaires Sociales, on constate que tous nos efforts, notre ambition de redresser les chiffres, les attentes ne sont pas totalement comblées.
C’est vrai qu’il y a un effort, je le dis, beaucoup d’efforts sont faits aujourd’hui. Des efforts, surtout, à embarquer beaucoup d’acteurs de lutte, ce n’est plus deux, trois groupes de personnes qui aujourd’hui luttent contre la VBG, mais beaucoup d’acteurs de manière très diversifiée, ce qui est très positif pour nous. Et l’autre chose, avec tout ce que nous avons aujourd’hui comme textes réglementaires, je trouve qu’on a une floraison de textes aujourd’hui, des textes très osés…
Et aussi, quand nous voyons aujourd’hui tous les programmes, les projets, les actions, les initiatives qui sont prises de part et d’autres, quelque chose se fait…C’est vrai que les chiffres ne régressent pas comme on l’aurait voulu, pas pour dire que les chiffres ne régressent pas, mais peut-être pas comme on l’aurait souhaité.
Mais la question que nous devons nous poser, si on ne le faisait pas tout ça, et si il n’y avait pas tous ces acteurs… où est-ce qu’on serait ? Donc c’est ça, la satisfaction aujourd’hui…Donc, nous ne pourrons pas parler de l’autosatisfaction, mais nous pourrons nous réjouir de ce que l’environnement aujourd’hui change…
Aujourd’hui, les femmes n’ont plus peur d’aller dénoncer, n’ont plus peur de prendre la parole et de dire, oui, ce que tu me fais ce n’est pas bon, on ne doit pas le faire. C’est déjà important que la femme aille même jusqu’à porter l’affaire devant les autorités, et elle n’aurait jamais pu le faire. Ça veut dire que les messages portent.
En mars, dans le cadre de la journée internationale de la femme, la direction départementale des affaires sociales a organisé une rencontre avec les acteurs, les organisations de défense des droits de femmes, les féministes, les activistes sur Internet. Nous avons organisé une rencontre qui nous a permis de projeter les chiffres du Littoral. Et ensemble, nous avons opiné, nous avons vu où est-ce que nous étions. Non seulement cela, nous avons tracé une ligne. Nous avons tracé un certain nombre d’objectifs que nous devons nécessairement réaliser ensemble. Parce que nous avons cru pour nous que c’est dans le réseautage qu’on peut mieux réussir. Et actuellement, nous sommes en train de mettre en place une cartographie des organisations de défense des droits de femmes pour permettre à une organisation, lorsqu’une organisation va y mettre un projet, de savoir qu’il y a une autre organisation qui travaille et pourra l’associer…de telle sorte que lorsqu’une organisation de défense des droits de femmes veut poser un acte, qu’est-ce que l’autre a fait ? Que ce soit une continuité plutôt qu’une reprise. Ce travail, nous l’avons fait dans le cadre du 8 mars. On s’apprête encore à le faire, pour le 15 juillet prochain, nous avons organisé les organisations de défense des droits des enfants, de protection des enfants.
Nous sommes au terme de l’entretien, un appel ou un message à lancer ?
Je dirais tout simplement merci à vous. Merci à vous pour le fait que vous vous êtes intéressés à ce sujet. J’avoue que c’est un sujet que beaucoup banalisent. C’est vrai beaucoup parlent de VBG, mais ne s’intéressent pas forcément à la prise en charge. Je salue l’initiative.
Propos recueillis par Aziz BADAROU (Collaboration avec Alliance
Droits et Santé)