Des subtilités et secrets laissent des traces dans le processus)
Aussi banal et simple que cela puisse paraître, la sculpture des masques Guèlèdè revêt une dimension beaucoup plus subtile et sacrée que l’on ne saurait imaginer. Cependant, il arrive qu’on se retrouve en face de nombre de créateurs d’œuvre d’art ou des artisans qui s’y adonnent à cœur joie. Cet état de chose pourrait-il avoir des impacts fâcheux ou ce serait-elle une activité sans tabou où tout le monde pourrait s’y aventurer ? une immersion dans cet univers nous apporte des substances de réponse.
Le Guèlèdè, est d’abord et avant tout un masque atypique dont les rites sont pratiqués par la communauté Yoruba-Nago au Bénin. On les retrouve aussi au Nigeria et au Togo. Une société de masques très structurée qui semble être ouverte au public mais qui tient ses racines d’une sacralité irréversible. Pour le célébrer, les chants sont en langue yoruba, la musique se joue avec quatre tambours et les danses masquées ont souvent lieu à la fin des récoltes et lors des événements importants comme certaines naissances, certains décès, et mariages ou en cas de sécheresse ou d’épidémie. Ce patrimoine oral est proclamé en 2001 puis inscrit en 2008 par l’Unesco sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
Au sujet de la fabrication des sculptures portées sur la tête…
A en croire les confidences de Pascal Adissa Mondjinnagni, le responsable de l’Ong Alafia Bénin Kétou pour la promotion du Guèlèdè OFIA, lui aussi initié de la chose, ces statuettes observées sur la tête des porteurs du masque Guèlèdè sont, pour la plupart du temps sculptées en bois. Et derrière elles se cache nécessairement un message symbolique. « Ce n’est pas un masque comme les autres » va-t-il mentionner avant d’ajouter que ce masque est taillé pour laisser de visibilité au porteur jusqu’au front. Dans ces sculptures, on peut voir des images d’animaux, de végétation ou d’objets de la nature que le sculpteur y pose pour expliquer un évènement particulier ou pour véhiculer un message captivant. Pour les réaliser, selon Pascal, le sculpteur part toujours d’un fait marquant ou d’un évènement qui l’a inspiré pour raconter une histoire. Partant donc de ce principe, il va dans la forêt à la recherche du bois qui aura le diamètre de son message, parce que, explique-t-il, lorsqu’on entame il faut aller jusqu’au bout. Et à la fin il va falloir obligatoirement avoir le message attendu. Et comme ce n’est pas avec n’importe quel arbre on la fabrique, l’initié garde toujours sur lui un autre arbre témoin de la même espèce pour le planter systématiquement en remplacement de celui coupé dans la forêt. Autrement, il y a des conséquences à assumer. En tout cas, c’est que l’on peut comprendre de la suite logique des propos de Pascal. « Souvent on utilise de bois légers ayant des caractéristiques spirituelles données pour que le travail soit aisé » va-t-il préciser. Que de subtilités qui entourent cette fabrication qui apparemment est réservée principalement à une classe d’initiés. C’est un travail de longue haleine qui ne se fait pas, une fois en atelier, sans des préalables spirituels, fait savoir l’initié. Parce que pour que le message envisagé au départ soit bien représenté et bien remarquable, et ceci sans faille, il faut une communication avec le monde supérieur. C’est alors, à la suite de ces différentes précautions, avec les travaux de sculptage appliqué sur le bois à l’aide de la colonie d’outils utilisés en atelier, que le fabricant ponce et polit correctement l’objet final avant d’y passer des couches de vernis pour protéger le bois et les différentes peintures pour l’embellir. A la question, est-ce que tout le monde peut sculpter le masque sinon la statuette portée par le Guèlèdè, la réponse de de François ACHE, qui est un Griot de Kétou et qui est également un initié dans la fabrication de ses statuettes représentatives, est non. « Je ne sais pour ce qui est des autres villages, mais à Ofia, c’est non. Tout le monde ne peut pas fabriquer ces représentations parce que chez nous il y a des tributs ou des ethnies, si vous voulez qui ont ces attributs. Et c’est leur apanage. C’est-à-dire il y a des des ethnies qui s’occupent de tout ce qui concerne cette divinité. Il y a par exemple des ethnies des griots auxquelles moi j’appartiens, il y a les ethnies des batteurs de tambours, les ethnies de chanteurs et de danseurs. C’est tellement bien organisé qu’on ne se mélange pas. De sorte même que c’est un héritage qui va de père en fils et qui se transmet de génération en génération. Et lors de la transmission, il y a obligatoirement une cérémonie qui est faite pour donner la main au relayeur. Donc n’importe qui ne peut se lever pour dire qu’il va sculpter. L’autre chose qui est plus compliquée est que quelle que soit l’inspiration que tu as, ça peut être un rêve, un événement ou un fait d’histoire, pour sculpter et réussir, il faut non seulement avoir acquis les notions de fabrication dans un apprentissage rigoureux et à cela doit s’ajouter inexorablement le don personnel et le concours des ancêtres. Pour vous dire que ce n’est pas une mince affaire. Donc on ne peut pas se lever du jour au lendemain pour dire qu’on n’est sculpteur » souligne de plusieurs traits François ACHE, un initié et natif de Kétou digne descendant des griots de la société des masques Guèlèdè.
Mais qu’est-ce qui implique les néophytes à cette fabrique ?
Charly Djikou lui est un artiste Béninois, sculpteur d’une variété de matières dont le bronze, la pierre et notamment du bois à ses débuts. Il n’est pas un initié à la sculpture de ces masques portés par les Guèlèdè mais il avoue s’intéresser à cela dans ses travaux d’atelier à un moment de sa carrière. Mais avec beaucoup de réserve. « J’ai sculpté des bois pendant des années. Mais je n’ai jamais osé aller chercher des bois sacrés pour les manipuler et leur donner des formes de Guèlèdè. Parce que ça a des conséquences et si tu n’es pas un initié ta vie peut en prendre un coup. Pour se prévaloir de la fabrication de ces choses, il faut être nécessairement initié. Mais j’avoue qu’il m’est arrivé quelques rare fois de travailler sur Guèlèdè en sculpture Béton en sculpture de pierre. Mais ce n’est pas fabriqué pour les porteurs, c’est juste pour des ornements d’espace ou pour un monument ou une œuvre à exposer et ça s’arrête là. Et d’ailleurs le cas pour les artistes qui le font en bois aussi. Même s’ils sont natifs du milieu, ils le font souvent juste pour la beauté de l’espace puisqu’ils savent qu’ils ont des limites. Si tu n’es pas ordonné pour le fabriquer pour les porteurs, tu ne pourras pas aller dans certaines dimensions » fait remarquer l’artiste pour exposer la nuance du travail qu’ils font et celui des initiés. « Ceux qui jouent Guèlèdè à Cotonou savent eux-mêmes qu’ils ne peuvent pas venir faire ce qu’ils font à Cotonou chez nous à Ofia. Les gardiens de temples sont toujours là, c’est clair. Mais on ne peut pas leur interdire ça à Cotonou » ajoute Pascal.
Réalisé par Teddy GANDIGBE