Vingt ans de réclusion criminelle pour Olivier Boko, Oswald Homeky et Rock Niéri pour tentative contre la sûreté de l’État béninois. Pour important qu’il soit, ce verdict est l’aboutissement d’une lutte de succession dans le clan Talon. Mais le problème de fond demeure toujours.

Le procès le plus retentissant de ces dernières années au Bénin qui s’est déroulé sans avocats à la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) pendant six jours, s’est achevé le jeudi 29 janvier et a largement été évoqué par les médias, notamment en mettant en valeur la parole des accusés. Bien de sujets ont été abordés au cours de ce procès : l’historique, la mémoire  de la préparation de la tentative de putsch,  les lieux, les montants, les mobiles et le rôle de chacun des accusés.  Les déclarations pathétiques du principal accusé, Olivier Boko, homme d’affaires, ami très proche du président Patrice Talon que certains n’hésitent pas à appeler « Monsieur le vice-président »,  ont fait pleurer dans les chaumières et susciter de vives émotions. Cependant celui-ci n’a pas reconnu les faits qui lui sont reprochés.  « Je ne suis ni informé, ni mêlé à un tel projet, je ne peux pas faire un coup d’État contre mon régime. Talon Président, c’est Boko Président», a-t-il déclaré. Au début des  assises, il avait déjà affirmé que « ce procès est cousu de fil blanc. Je suis innocent. Ne me condamnez pas par déduction », avant de conclure qu’on  » reparlera de ce procès un jour ». Oswald Homeky lui, avait demandé à la cour:  pourquoi tout ce que le chef de la garde présidentielle dit, est pris pour argent comptant alors que leurs versions sont remises en cause. Le  troisième accusé Rock Niéri actuellement en cavale, ne pouvait pas répondre de ses actes. Quant au commandant de la garde républicaine  Dieudonné Tévoédjrè, celui par qui le coup d’État a été éventré, il déclare : »J’ai fait semblant d’adhérer à ce projet de coup d’État, c’est pour voir le bout du tunnel. Je ne trahirai jamais la République ». Le jeudi 30 janvier dernier, le couperet tombe. La cour  conclu que les infractions de « complot contre l’autorité de l’Etat » et de « corruption » qui leur sont reprochées étaient constituées. L’homme d’affaires Olivier Boko, l’ancien ministre des Sports Oswald Homeky et Rock Niéri ont été condamnés à 20 ans de réclusion criminelle chacun, 60 milliards de francs CFA de dommages et intérêts et 4,5 milliards de francs CFA d’amende. Trois autres personnes qui comparaissaient également dans ce dossier, ont purement et simplement été acquittées. Au lendemain de cette sentence, se pose une question dérangeante : comment en est-on arrivé là?

Le nœud gordien

Au cœur de toute cette affaire et probablement d’autres qui vont suivre dans les prochaines semaines,  c’est la succession du président Patrice Talon qui, après deux mandats constitutionnels,  ne devait pas se présenter et n’a toujours pas désigné son dauphin. La toile de fond se trouve à ce niveau là.Tant que ce sujet n’est pas  définitivement réglé, il y aura encore des luttes intestines, des coups bas et des règlements de compte  au sein du camp présidentiel. On voit bien que l’équation est très difficile et représente le choix  cornélien pour le chef de l’État. S’il fait le choix d’un bon candidat, il peut maintenir son camp jusqu’au moment des élections générales de 2026. Au contraire, ses partisans risquent de s’étriper jusqu’à la dislocation des partis politiques qui le soutiennent. C’est peut-être pour cela qu’il garde le suspens assez longtemps. Certes, Patrice Talon lui-même  a affirmé à maintes reprises son opposition à briguer un troisième mandat, nouvelle République ou pas.  Mais, il n’a pas encore dit son dernier mot. On sait aussi  qu’au sein de son camp,  plusieurs  personnes ont des dents qui raillent le parquet et lorgnent du côté de la Marina. Chacun espère être le dauphin tout désigné. Cependant, ils n’osent pas lever le petit doigt,  très inquiets de la position ambiguë et attentiste de Patrice Talon. C’est pour cela qu’à un an de l’élection présidentielle, aucun candidat ne se dégage du camp présidentiel encore moins de l’opposition.  Et au fil du temps, des doutes ont commencé à s’incruster dans l’esprit de ceux qui espéraient être désignés candidats. Certains même pensent comme de nombreux Béninois, que Talon  qui s’est construit l’image d’un dirigeant raisonnable a plutôt décidé de continuer jusqu’au bout et à entretenir les peurs dans son entourage.  De fil en aiguille, il  est apparu de plus en plus évident,  à certains fervents partenaires politiques. que leur chef ne veut pas lâcher l’affaire. Il n’est pas non plus, prêt à libérer les ambitions et les énergies. Conséquence : interdiction ferme de mener le débat du dauphinat.  Est-ce une erreur de jugement des thuriféraires  du régime? Peut-être ! Toujours est-il  que d’autres ont pris leur courage à bras le corps pour le défier à leur risque et péril. Ils l’ont payé cash.  En témoigne le limogeage de plusieurs cadres de la Rupture notamment  l’ancien ministre des Sports Oswald Homeky, Olivier Boko qui sont aujourd’hui sous les verrous pour tentative de coup d’État, l’ancien Garde des Sceaux pour ne citer que ceux-là. Le dernier en date  a fait les frais, est le ministre des mines et de l’eau Seïdou Adambi dont personne ne s’est toujours pas pourquoi il a été débarqué du gouvernement après plus de huit ans de « bons et loyaux services ».  Même  les dirigeants du parti Les Démocrates sont eux aussi victimes de cette politique et cette stratégie du président Patrice Talon. Aujourd’hui, l’ancien président de la République Boni Yayi et les siens  semblent être tétanisés et engourdis par cette posture de Talon. A ce jour, ils sont incapables de désigner leur duo candidat de peur de le faire passer sur le gril. En 35 ans de processus démocratique, les Béninois n’ont jamais connu une telle situation alors même que le pays s’approche des élections générales de 2026. Le procès de Olivier Boko et consorts a fini par convaincre ceux qui doutaient encore que le ver est dans le fruit. Il vient pour le moment, mettre  fin  à la première partie de cette lutte de  succession à Patrice Talon. Mais la tension reste palpable au sein du camp présidentiel et du pays. Chacun se demande ce que va être la suite des événements.

Incertitudes et inquiétudes

Pour le moment, les responsables des partis de la majorité présidentielle se posent la question de savoir que faut-il faire pour sortir de cette impasse? Comment faire pour obtenir le quitus du président Patrice Talon afin que tous les prétendants puissent participer à la présidentielle de 2026? Et plus nous nous approchons de cette élection présidentielle, plus les ambitions vont se réaffirmer  voire s’exacerber. Car, des hommes du sérail, qui ne supportent plus la main basse que le président Talon exerce sur son propre camp, sont prêts à en découdre. En coulisses, chacun manœuvre   désormais pour le faire descendre de son piédestal.  L’idée que Patrice Talon, qui pendant huit ans, tenait tout son monde d’une main de fer dans un gant de velours, s’est transformée en : » il n’est plus l’homme de la situation ». D’où les velléités d’indépendance qu’on observe aujourd’hui dans le camp présidentiel.  Certes Olivier Boko  ne s’est pas exprimé publiquement  pour dire qu’il nourrit une ambition présidentielle en 2026. Mais des actes posés ça et là  autour de lui,  notamment les sorties médiatiques du mouvement OB26, laissaient croire qu’il veut succéder à son mentor.  La suite, tout le monde la connaît maintenant. Cependant, il n’est pas le seul prétendant pour remplacer Patrice Talon à la fin de son double mandat. Plusieurs noms sont d’ailleurs cités. On parle du ministre de l’Economie et des Finances Romuald Wadagni et du maire de Cotonou Luc Atrokpo sans que les personnes concernées ne démentent l’information. L’ancien président de la Cour constitutionnelle et actuel président du parti l’Union progressiste Le Renouveau Joseph Djogbénou qui avait été pressenti pour faire le job, s’est publiquement désisté, il y a quelques mois, lorsque l’information se faisait de plus en plus persistante. Certains disent qu’il n’a pas renoncé à son projet. Et le suspens continue. C’est dans cette situation tendue, inquiétante et incertaine, que l’ancien ministre des Sports de feu Mathieu Kérékou, l’homme d’affaires Christian Lagnidé est venu mettre une nouvelle pièce dans la machine en demandant à la Cour constitutionnelle de se prononcer sur la nature du régime politique du pays après la révision de la Constitution en 2019 et l’éligibilité du président Patrice Talon à un nouveau mandat en 2026. Comme nous l’avons annoncé auparavant, celui-ci avait déclaré qu’il ne se présentera pas  pour un troisième mandat, nouvelle République ou pas. Mais ça, c’était avant que Christian Lagnidé ne dépose sa requête. Initialement prévue  pour le 30 janvier dernier, l’audience n’a pas pu se tenir en raison de l’absence du requérant. Elle a été reportée au 6 février prochain. Que va décider la Cour constitutionnelle? Si elle déclare que le Bénin est dans une nouvelle République, que fera le président Patrice Talon ? Ce sera une situation inédite au Bénin et un changement de donnes qui pourraient entraîner  des craintes bien réelles  d’une instabilité du pays.

Boubacar Boni Biao(Collaboration)

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