« Donc c’est ça » est un spectacle de danse présenté par Emmanuel Abissi qui immerge son public dans la souffrance d’une frange partie de la jeunesse africaine. Cette représentation est un soutien envers cette couche de la société. Elle a été présentée dans la soirée du 12 décembre 2024 au cours du festival Croisement au Bénin, dans la commune d’Abomey-Calavi, à Walô dance center.
« Donc c’est ça » est un spectacle d’une quinzaine de minutes dont le seul acteur sur scène est l’Ivoirien Emmanuel Abissi. Autrement, il aurait pour compagnon de scène : la pneumatique d’une voiture, des bruits et des musiques de fond, une voix off qui présente un reportage et les lumières de scène.
Le spectacle démarre avec l’apparition de Emmanuel Abissi sur la cour de la scène, grâce à la projection d’un rasant. Regard figé vers l’avant, tel un soldat prêt pour le combat, le danseur ne portera pas la tenue de militaire. Emmanuel Abissi est vêtu d’un haut sans manches, de couleur noire, sur un pantalon fluide, moins volumineux et cousu avec plusieurs poches. Son arme de combat est ce pneu de voiture accroché à son coup comme l’écharpe d’un député de l’Assemblée Nationale. C’est bien de cette manière que les militaires, eux aussi, accrochent leurs armes au coup pour aller au combat.
Sans doute, il s’agit ici de la représentation de l’image d’un jeune décidé « d’aller se chercher », c’est-à-dire, de travailler pour gagner sa vie à la sueur de son front. Le pneumatique étant un élément constitutif d’une voiture, la compréhension est facile : ce jeune homme veut travailler avec un conducteur de voiture. Son habillement fait d’ailleurs penser à ces jeunes apprentis ou racoleurs des conducteurs de taxi en Afrique. Peu après son temps d’observation, le danseur souleva le pneu comme pour le faire voir à tous les spectateurs. Il l’installe sur la scène comme tout soldat engagé saurait positionner son arme au front.
Avec les lumières de la scène, notamment les contre-jours qui permettent au public de découvrir avec précision tous les mouvements du jeune danseur, Emmanuel Abissi évoluera sur toute la scène. Il joue avec le pneu dans tous les sens et sur toute la scène. L’on aperçoit à travers lui les enfants africains de bas âge au cours des années récentes. Ces derniers conduisent les pneus comme des voitures imaginaires et klaxonnent même avec des sons imaginaires. Comme ces âmes innocentes, tous les moyens de conduite sont bons, aux yeux du chorégraphe Emmanuel Abissi. Il s’arrête parfois, inspecte le pneumatique comme pour réparer une panne. Le danseur utilise tous ses membres ou presque pour jouer avec le pneu. Il s’agit entre autres de sa tête, de ses pieds et de ses mains. Il fait plus d’efforts qu’il en fait. Cela confirme qu’il est l’accompagnateur et le guide du conducteur de la voiture imaginaire et non le conducteur lui-même.
Emmanuel Abissi imite tous les gestes d’un bon apprenti chauffeur avec les doigts en montrant les chiffres mathématiques, par exemple. En ce moment précis de la scène, le pneu est stationné au sein du côté cours de la scène. Les gestes et les mouvements sont accompagnés d’un bruit de circulation. En effet, ces signes de mains sont la traduction des gestes des apprentis chauffeurs. Ils appellent les passagers à bord des voitures, les rassurent que ces dernières sont quasiment pleines et qu’elles ne tarderont pas à démarrer.
La compréhension de la scène devient plus claire lorsqu’une voix off intervient pour présenter un reportage. Ce dernier renseigne sur le quotidien des apprentis chauffeurs et en quoi ils sont utiles pour leurs patrons. Mais c’est ici qu’apparaît l’information de trop. « Une œuvre d’art doit être une énigme. Elle doit me pousser dans un état d’in, sans quoi je me surprends à m’ennuyer de ma propre compréhension. Je n’écris pas sur l’art pour l’expliquer, mais afin d’explorer ce qui s’est passé entre moi et l’image (pour nous le spectacle), sur les deux plans de l’émotion et de l’intellect. Regarder, après tout se fait toujours à la première personne », écrit la critique d’art Siri Hustvedt.
Cette œuvre chorégraphique n’est pas que la peinture du quotidien de ces nombreux jeunes qui traversent des situations difficiles à la recherche du mieux-être. Elle les réconforte en présentant une situation pareille à ce qu’ils vivent chaque jour. Une expression populaire s’en dégage : « prends courage, demain sera meilleur !».
Edouard G. (Coll.)