Ben Saul, Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’Homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, a terminé une mission d’évaluation des actions antiterroristes au Bénin le 27 novembre 2024. Au terme de cette mission, il a salué les efforts du pays dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent, particulièrement dans le nord, tout en soulignant la nécessité d’une procédure judiciaire rapide conforme aux normes internationales. Il a noté une réduction des attaques armées, attribuée aux mesures de sécurité et au développement économique, et a souligné l’importance d’initiatives pour un développement inclusif afin de lutter contre les causes profondes du terrorisme. Cependant, il a aussi exprimé des préoccupations concernant le traitement des présumés terroristes, notamment des retards judiciaires jugées inacceptables et des conditions de détention inhumaines dans les prisons surpeuplées. Certains ont passé deux à trois ans avant d’être présentés devant le tribunal. Pour lui, c’est contraire au droit international. Dans son rendu, l’homme a surtout critiqué la définition du terrorisme dans le code pénal béninois, appelant à une restriction et une clarification pour aligner la loi sur les normes internationales. Ben Saul a évoqué des arrestations arbitraires et des préoccupations quant à la Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme (Criet).
Le cas Madougou
Lors de son séjour, les portes de la prison surpeuplée de Missérété ont été ouvertes au Rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans la lutte antiterroriste. C’est ainsi qu’il a pu faire le constat selon lequel la prison civile de Missérété, où sont gardés de nombreux terroristes présumés, compte 3 000 détenus pour 1 000 places. « Ils sont au nombre de 652 présumés terroristes détenus, dont 10 condamnés. Il y a 22 femmes qui sont des terroristes présumées dans une autre prison à Porto-Novo », explique Ben Saul. Mais interrogé sur le cas de l’ancienne Garde des sceaux, Rekya Madougou, condamnée à 20 ans de prison pour terrorisme, Ben Saul laisse entendre : « C’est un cas dont je n’ai pas fait de commentaire dans mon rapport aujourd’hui. C’est un cas dont je compte recueillir plus d’informations ». Cette réponse du Rapporteur spécial de l’ONU contre le terrorisme est suffisamment évocatrice de l’embarras que représente le cas Reckya Madougou pour le gouvernement. Le rapporteur de l’Onu est sans doute au courant de l’avis motivé n°51/2022 du Groupe de travail de l’Onu sur la détention arbitraire qui a constaté l’absence de preuves dans le dossier ayant servi à la condamnation de Reckya Madougou. En effet, à l’issue d’une procédure contradictoire menée par le Groupe de travail de l’Onu sur la détention arbitraire, le Bénin n’a pas été en mesure de prouver la participation de Reckya Madougou dans une entreprise de terrorisme pour laquelle elle a été pourtant condamnée en violation de son droit à la présomption d’innocence et à un procès équitable. Par l’avis n°51/2022, le Groupe de travail de l’Onu sur la détention arbitraire a alors conclu à une détention arbitraire, à un procès illégal et exigé la libération immédiate de Reckya Madougou et son indemnisation.
Comment aller à Missérété, rencontrer les personnes arrêtées parce que soupçonnées d’actes terroristes et celles condamnées sans rencontrer Reckya Madougou ? S’il l’avait fait, pourquoi Ben Saul se serait-il abstenu de faire des commentaires, promettant recueillir plus d’informations ? Ben Saul n’a-t-il pas été autorisé à voir Reckya Madougou ? Le cas échant, le gouvernement est-il lui-même convaincu de la condamnation de Reckya Madougou pour terrorisme ? Voilà l’épineuse équation à laquelle le régime de Cotonou sera chaque fois confronté quand il s’agira du cas Reckya Madougou.
Ce n’est d’ailleurs pas anodin que le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’Homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste a invité le Bénin à préciser la définition du terrorisme dans son code pénal. L’objectif est d’amener le gouvernement à restreindre et à préciser la définition du terrorisme et des infractions terroristes en vertu des articles 161 et suivants du code pénal afin que la loi n’inclut que les actes qui sont véritablement du terrorisme, qu’elle s’aligne sur les normes internationales, et que le concept ne soit pas un fourre-tout dont on se sert pour inculper toute voix critique ou pour cibler des personnes soupçonnées à tort ou à raison d’être le réservoir de recrutement des terroristes.
Ben Saul a aussi fait des recommandations en ce qui concerne la lenteur judiciaire et la surpopulation carcérale. Un premier rapport va être publié dans les jours à venir. Il sera suivi d’une version définitive en mars 2025, avec les amendements des autorités béninoises qui ont autorisé cette mission.
M.M