Quel cadre de concertation ? C’est la question que se pose le politologue Richard Boni Ouorou après la formalisation de ce creuset de l’Opposition sous le leadership du part Les Démocrates. Analyses à l’appui, il estime qu’un Cadre de concertation ne saurait être le réceptacle de débats sur le système électoral. « La rencontre dite Cadre de concertation doit servir de lieu d’échanges sur les visions de société de chacun des acteurs selon l’idéologie incarnée et les valeurs qu’ils défendent en politique » laisse-t-il entendre. Voici son analyse.
Quel cadre de concertation ?
Je ne suis pas a priori contre le Cadre de concertation mis en place par les partis d’opposition. Comme je l’ai souligné dans une interview récente, dans un contexte idéal, il renverrait à un mécanisme au sein duquel on discute et on débat afin d’en sortir avec un projet de société uniforme constituant une véritable alternative à celui du gouvernement. Je désapprouve le Cadre de concertation tel que je le perçois dans ses intentions purement politiciennes. Je suis contre pour des raisons idéologiques et aussi pour des postures politiques qui ont été les miennes depuis que je prends la parole dans le débat public dans notre pays. Je suis contre du fait de certains précédents politiques. Je suis contre en raison de différence de visions politiques.
Le déficit d’idéologie politique et des projets politiques clairs
C’est un truisme que d’affirmer que les hommes sont différents les uns des autres. Sur le plan politique, cette différence se traduit par une pluralité d’approches théoriques de l’organisation et du fonctionnement du pouvoir ainsi que de la construction et de la gestion de la société. On distingue fondamentalement deux approches : la conservatrice et la progressiste connue respectivement sous les vocables de droite et gauche dans les démocraties libérales.
Même si ces notions ne recouvrent pas un contenu idéologique fixe, on peut néanmoins noter que les partisans de droite sont attachés aux traditions, à la hiérarchie et aux mérites individuels. Ils militent à cet effet pour les valeurs de liberté, de libéralisme économique notamment la liberté d’entreprendre, la non-intervention de l’État dans l’économie, le respect de la propriété privée, la préservation de l’identité nationale, de la famille, l’ordre, la sécurité, l’autorité et la justice.
Quant aux adeptes de la gauche, ils sont en faveur du changement social vers une société plus égalitaire. Ils favorisent à cet effet les valeurs de liberté fondamentale, de libéralisme des mœurs, de solidarité, de désobéissance civique, de tolérance, de justice sociale, de nationalisation des biens, de la planification économique et de la priorité donnée aux services publics.
Au-delà de ce clivage, on distingue les extrêmes communément appelés extrême droite et extrême gauche.
L’extrême droite repose sur trois piliers : le rejet de l’immigration, sa conception autoritaire du pouvoir et un certain discours antisystème emballé dans des postures populistes. C’est à ce courant politique qu’appartient les mouvements nazis, néo-nazis et fascistes.
En ce qui concerne l’extrême gauche, sa principale motivation est le renversement du capitalisme en faveur d’une société sans classes sociales. On y trouve des marxistes de diverses obédiences (trotskiste, maoïste, etc.) ou encore des anarchistes.
Au milieu de ces quatre groupes se trouve le centre, appelé couramment centriste ou libéral. Ce courant de pensée politique se caractérise par la défense d’un équilibre ou d’un compromis entre l’idéal de l’égalitarisme et la nécessité d’une hiérarchie sociale. Cette approche conduit en pratique à une modération entre l’interventionnisme et le laissez-faire sur le plan économique, ainsi qu’entre progressisme et conservatisme sur le plan sociétal et culturel. Selon que les valeurs de gauche ou de droite prennent plus d’importance, le mouvement politique sera qualifié de centre gauche ou de centre droite.
Cela dit, si l’on rapporte ces différentes approches idéologiques dans notre champ politique, force est de constater que les structures partisanes béninoises sont difficilement classifiables dans la description faite ci-dessus. Et pourtant, au lendemain de la Conférence nationale, on pouvait distinguer des partis politiques qui revendiquaient ou qui étaient classés dans l’une de ces appartenances idéologiques. Il s’agit de mémoire du Parti Communiste du Bénin (PCB), du Parti Social-Démocrate (PSD) et la Renaissance du Bénin (RB). Les deux premiers, le PCB et le PSD, étaient classés à gauche, car respectivement communiste et socialiste. La RB, quant à elle, était considérée comme étant de droite.
Une observation d’ordre anthropologique s’impose ici. En effet, le PCB et le PSD avaient comme bastion politique la partie sud-ouest du Bénin, notamment le pays adja d’où étaient originaires les deux dirigeants historiques de ces formations politiques, Pascal Fantodji et Bruno Amoussou. La structure politique et administrative du pays adja était loin d’être unitaire et hiérarchique ; elle reposait en effet sur une organisation de type segmentaire et acéphale, où le pouvoir est exercé de manière horizontale et collégiale par des chefs de famille, de clan ou de village. Ne pouvait-on pas voir dans cette organisation, une prédisposition à une idéologie politique de gauche ?
À l’inverse, la RB était souvent perçue comme le parti des Aboméens. Le royaume d’Abomey, connu pour sa structure monarchique bien rigide et bien hiérarchisée, fonctionnait suivant des règles et coutumes ancestrales auxquelles sont pour la plupart encore attachés ses natifs. Ce cadre monarchique pourrait-il expliquer l’orientation plus à droite de la RB ?
En ce qui me concerne, je suis le fruit d’une union d’un ressortissant du septentrion et d’une originaire du sud du Bénin. Ayant grandi dans les deux pôles du pays, navigant entre langues et cultures, j’ai sans doute développé une vision équilibrée et orientée vers le compromis dans la construction et la gestion politique de la cité.
Alliances politiques contre développement
Revenons à l’actualité. Les partis politiques au Bénin ne semblent pas se positionner idéologiquement selon les canons classiques des idées et des valeurs politiques. Cela soulève une question fondamentale : quelle est donc leur vision d’organisation, du développement et de gestion de la société béninoise ?
Cette question ouvre un débat central : comment des formations politiques aux idéologies différentes ou sans idéologies définies, peuvent-elles collaborer dans un cadre dit de concertation ?
Depuis la Conférence nationale du Bénin, l’histoire politique de notre pays révèle que l’accession à la magistrature suprême est moins le fait des partis que celui des alliances.
En 1991, le président Nicéphore Soglo a été élu sous la bannière d’une coalition dénommée Union pour le triomphe du renouveau démocratique. Il créera plus tard la RB son parti politique. En 1996, le général Kérékou remporte l’élection sous l’égide du Front d’action pour le renouveau et le développement. En 2001, sa réélection est portée par l’Union pour le Bénin du futur. En 2006, le président Yayi est élu avec le soutien de la coalition ‘’Cauris’’ qui deviendra plus tard Forces Cauris pour un Bénin Emergent et qui l’accompagnera dans sa réélection de 2011. Au cours de ce scrutin, son principal adversaire, Maître Adrien Houngbédji, était soutenu par une alliance appelée Union fait la Nation. En 2016, Patrice Talon a accédé à la présidence grâce au soutien d’une coalition hétéroclite, composée de divers partis et mouvements politiques, ainsi que de personnalités politiques. Son challenger au cours de cette élection, Lionel Zinsou, était soutenu d’une part, par les FCBE vidées de sa substance, et d’autre part, d’une alliance de dernière minute composée de la RB et du Parti du Renouveau Démocratique de Adrien Houngbédji. Les transfuges des FCBE étaient, pour l’essentiel, allés apporter leur soutien à Patrice Talon.
Une politique sans projet de société ?
Les alliances au Bénin ont souvent été des coalitions de circonstance, motivées par la conquête et la gestion du pouvoir. Cette dynamique politicienne relègue les questions de développement au second plan. Les antagonismes politiques se résument à une confrontation mouvance-opposition, loin des débats idéologiques ou de projets de société. On peut l’affirmer sans se tromper, la politique est comprise chez nous comme la simplissime conception opposition contre mouvance.
Sous ce prisme, il ne s’agit que d’une vulgaire question de conquête et de gestion du pouvoir politique sous fond de pathos. On cherche ici en effet à émouvoir les électeurs en invoquant des thèmes à fortes valeurs symboliques : l’alternance, le système électoral, la gouvernance, l’unité et la cohésion nationale, etc. Les membres dits de l’opposition n’ont de cesse de crier aux atteintes supposées ou réelles de la démocratie, de l’État de droit, de la violation des lois, et, surtout, de la compromission du système électoral (des éléments sur lesquels on peut très bien s’accorder). On est ici dans un cas typique d’opposition systématique qui ne fait pas avancer le débat public.
À l’inverse, les partisans de la mouvance au pouvoir s’emploient à dépeindre en noir et à vouer aux gémonies les membres de l’opposition. La fonction essentielle des partis dit de la mouvance consiste à apporter un soutien inconditionnel aux actions du chef de l’État.
Ce faisant, il n’existe pas de confrontation de deux visions de société portées par chaque camp et pouvant permettre aux citoyens de se faire une idée précise de l’état du pays, des insuffisances de l’action gouvernementale et de la faisabilité de l’alternance proposée par le camp dit de l’opposition. Le regard des citoyens est donc faussé par une vision binaire de l’offre et de l’action politique réduites à de vulgaires et médiocres considérations politiciennes.
Quel cadre de concertation ?
Pour en revenir au Cadre de concertation, il convient pour moi de faire observer, qu’il ne saurait être un événement politique offrant une tribune aux politiques pour des discours, peut-être pertinents, sans intérêt pour le bien-être des populations.
Le Cadre de concertation ne saurait également être le réceptacle de débats sur le système électoral. Il m’apparaît judicieux d’évoquer un fait : aucun président de l’ère démocratique n’a été élu avec un système électoral qu’il a lui-même élaboré. Nicéphore Soglo a triomphé en 1991 du général Kérékou alors président en exercice qui a pris sa revanche 5 ans plus tard sur le même adversaire. Le président Yayi Boni a été élu contre toute une classe politique lui qui n’avait jusqu’à son élection aucun actif politique. Que dire du président Talon qui a été confronté au candidat du régime sortant mais qui l’a pourtant emporté haut la main.
Le point commun de toutes ses victoires est une organisation optimale, du sérieux et une mobilisation militante à toutes épreuves. Ni Soglo en 1991, ni Kérékou en 1996, ni Yayi en 2006 et encore moins Talon en 2016, n’ont passé le temps à remettre en cause le système électoral. Bien au contraire, les supputations et suspicions de fraudes faites autour du système électoral entre deux élections, et plus récemment l’objectif de caporaliser le pouvoir dans le temps et sur des générations, ont donné lieu à une inflation législative qui a abouti à une complexification administrative, organisationnelle et onéreuse dudit système. Il est fort à craindre que le Cadre de concertation, tel qu’envisagé par certains ne contribuera, hélas, qu’à l’accroissement de cette inflation.
La rencontre dite Cadre de concertation doit servir de lieu d’échanges sur les visions de société de chacun des acteurs selon l’idéologie incarnée et les valeurs qu’ils défendent en politique. Il s’agira de les confronter afin de voir les points communs, de rechercher la conciliation des points de divergence, de définir les modalités de mise en œuvre et, surtout, de déterminer son mode de communication à l’endroit des populations.
Mais s’il y a une raison au-dessus de toutes les autres qui met en exergue le caractère opportun du Cadre de concertation, c’est qu’il est une occasion exceptionnelle pour une bonne partie de la classe politique d’offrir une image de véritables hommes d’État à la hauteur des enjeux auxquels le pays est emmené à faire face pour le bien-être et l’épanouissement du peuple. Au cas contraire, ma question demeure : quel cadre de concertation ?
Richard Boni OUOROU