Le non-respect des décisions du Groupe de travail sur la détention arbitraire (Gtda) des Nations-Unies par les autorités béninoises préoccupent. Alors que beaucoup s’interroge du sort qui pourrait être réservé au récent avis du Gtda sur la détention de Joël Aivo, il urge de se préoccuper de l’image du Bénin sur la scène internationale. Ancien membre du Groupe de travail sur la détention arbitraire (Gtda) de 2014 à 2020, juriste et Chargé de cours, Roland Sètondji Adjovi souligné la nécessité pour le Bénin de rester du bon côté de l’histoire. Lire l’entretien exclusif accordé à votre journal !

Le Groupe de travail de l’Onu a rendu une décision sur la détention du Prof Aivo. Avant d’évoquer le contenu de la décision, dites-nous pourquoi c’est seulement maintenant que la décision est rendue publique alors que les références mentionnent qu’elle date d’Août ?

 

Avis No. 21/2024 concernant Frédéric Joël AÏVO (Bénin)

www.undocs.org/A/HRC/WGAD/2024/21

Sur le site des Nations Unies à Genève, il apparaît que la décision a été adoptée le 25 mars 2024 et publiée le 15 août 2024. En général, la décision une fois adoptée au terme de la délibération doit être finalisée et soumise pour approbation des membres. Ensuite, elle sera mise en forme par l’administration des Nations Unies puis communiquée aux parties avant d’être rendue publique. N’ayant pas été impliqué de l’intérieur, je ne saurais dire pourquoi c’est maintenant que la décision est connue du grand public. Mais, par expérience, je sais qu’une telle publicité est souvent le fait de la victime qui décide de faire une campagne médiatique pour inciter l’Etat à se conformer à la décision.

Evoquons à présent la décision elle-même, que peut-on retenir concrètement ?

En tout premier lieu, il faut déjà comprendre ce qu’est la détention arbitraire. Et, pour cela, il faut se référer au paragraphe 3 de la décision qui identifie les cinq catégories de la détention arbitraire comme suit :

« a) Lorsqu’il est manifestement impossible d’invoquer un quelconque fondement juridique pour justifier la privation de liberté (comme dans le cas où une personne est maintenue en détention après avoir exécuté sa peine ou malgré l’adoption d’une loi d’amnistie qui lui est applicable) (catégorie I) ;

  1. b) Lorsque la privation de liberté résulte de l’exercice de droits ou de libertés garantis par les articles 7, 13, 14, 18, 19, 20 et 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et, en ce qui concerne les États parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, par les articles 12, 18, 19, 21, 22, 25, 26 et 27 de cet instrument (catégorie II) ;
  2. c) Lorsque l’inobservation totale ou partielle des normes internationales relatives au droit à un procès équitable, établies dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans les instruments internationaux pertinents acceptés par les États concernés, est d’une gravité telle qu’elle rend la privation de liberté arbitraire (catégorie III) ;
  3. d) Lorsqu’un demandeur d’asile, un immigrant ou un réfugié est soumis à une détention administrative prolongée sans possibilité de contrôle ou de recours administratif ou juridictionnel (catégorie IV) ;
  4. e) Lorsque la privation de liberté constitue une violation du droit international en ce qu’elle découle d’une discrimination fondée sur la naissance, l’origine nationale, ethnique ou sociale, la langue, la religion, la situation économique, l’opinion politique ou autre, le sexe, l’orientation sexuelle, le handicap ou toute autre situation, qui tend ou peut conduire au non-respect du principe de l’égalité entre les êtres humains (catégorie V). »

Pour en venir plus particulièrement à la décision concernant F.J. Aïvo, le Groupe de travail a conclu que sa détention était arbitraire au titre des catégories I, II, III et V. Ce qui est important dans cette espèce, c’est que le Bénin a répondu en retard à la requête, ce qui rend cette réponse irrecevable. En conséquence, le Groupe de travail n’ayant pas une contradiction du Bénin a donné foi aux allégations inscrites dans la plainte pour aboutir à ses conclusions sur la détention arbitraire.

 

Une décision similaire avait été déjà prise par le même Groupe de travail de l’Onu concernant l’opposant politique Reckya Madougou. Mais les autorités béninoises semblent rester indifférentes jusque-là. Madougou étant toujours en détention. Ne devrait-on pas s’attendre à ce que le même sort soit réservé à cette décision ?

Je ne le sais pas n’étant pas impliqué dans les arènes du pouvoir. L’Etat ne fait pas toujours la même chose même dans les situations similaires. Mais l’accumulation de décisions peut créer un effet tel que l’Etat finit par les exécuter. Les circonstances politiques peuvent aussi influer sur la volonté politique de s’exécuter ou non. Attendons donc de voir.

 Dites-nous, quel est le caractère exécutoire des decisions du Groupe de travail de l’Onu ?

Le Groupe de travail a un mandat pour trancher des litiges entre les Etats et les individus sur la privation de liberté. Au terme d’une procédure contradictoire, le Groupe de travail rend un avis qui doit déterminer si la détention est arbitraire ou non, en identifiant aussi les conséquences. Cette décision a une valeur juridique contraignante puisqu’elle est le résultat d’un mandat quasi-judiciaire et règle un différend, sans qu’il n’y ait de voie de recours. Mais cela n’implique pas que la décision soit forcément mise en œuvre car le système des Nations Unies ne dispose pas d’une force publique pour imposer l’exécution. C’est d’ailleurs une critique qui peut être faite à la plupart des organes judiciaires et quasi-judiciaires du système international sauf ceux qui s’inscrivent dans un cadre communautaire ou la Cour internationale de justice dont les décisions peuvent être mises en œuvre par le Conseil de sécurité des Nations Unies.

Lorsqu’un pays s’oppose ou n’exécute pas ces décisions, que risque-t-il ?

Rien de façon formelle. Mais toute décision contre un Etat génère une obligation internationale à la charge de cet Etat et il y a mille façons politiques de s’assurer de l’exécution. Tout dépendra de la volonté des autres Etats qui peuvent exercer une pression sur l’Etat en cause pour s’exécuter. Parfois aussi, le juge national a eu le courage d’exiger l’exécution de la décision internationale. S’afficher comme ne respectant les droits de l’homme a toujours un coût, même s’il est différé dans le temps.

Dans le cas du Bénin, à quoi peut-on s’attendre ?

Sans boule de crystal, je n’oserais pas m’avancer.

Une analyse complémentaire ?

Il y a une tendance dans le Bénin qui me paraît alarmante. L’état de droit, c’est notre seule garantie contre l’arbitraire, qu’on soit ou non du côté du pouvoir. Une accumulation de violations de droits de l’homme ne sert aucun pouvoir, ni à court terme, ni à long terme.

 Avez-vous un message ou un appel à lancer ?

Le seul appel qui peut être lancé c’est que le Bénin reste du bon côté de l’histoire, celui des Etats qui respectent leurs obligations internationales, notamment vis-à-vis des individus.

Par ailleurs, dans cette affaire, le Bénin aurait gagné à répondre dans les délais pour un contradictoire qui lui aurait profité. Pourquoi a-t-il failli ? Qui sont les responsables de cette faillite de l’Etat ? Vont-ils être sanctionnés ? Le peuple béninois a le droit de savoir…

Propos recueillis par Aziz BADAROU

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