Analyse des juristes et spécialistes des droits humains

-Glory Hossou : « L’image du Bénin a été vivement écorchée… »

-Landry Adelakoun : « Un État qui se comporte ainsi perd en crédibilité »

-Fréjus Attindoglo : « Tôt ou tard, il faudra indemniser ces personnes… »

Dans un récent avis datant du 15 août 2024, le Groupe de travail sur la détention arbitraire (Gtda) du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies a exigé la libération immédiate du Prof Joël Aivo, condamné à 10 ans de prison alors qu’il était candidat à l’élection présidentielle de 2021. Le Groupe de travail de l’Onu estime sa détention arbitraire. Un avis similaire avait été émis en faveur de l’ancienne Garde des sceaux, Reckya Madougou. Mais il se dégage comme constat que le gouvernement et les autorités judiciaires béninoises semblent faire preuve d’une certaine indifférence face à ces décisions. Qu’en est-il du caractère exécutoire de ces avis ? Que risque le Bénin en ne s’y conformant pas ? Votre journal vous propose des analyses de plusieurs juristes et spécialistes des droits humains. Lire leur analyse !

Landry Angelo ADELAKOUN, Juriste, Spécialiste des droits humains et de la démocratie

Le Groupe de travail de l’Onu a rendu une décision sur la détention du Prof Aivo. Avant d’évoquer le contenu de la décision, dites-nous pourquoi c’est seulement maintenant que la décision est rendue publique alors que les références mentionnent qu’elle date d’Août ?

 

L’avis du Groupe de Travail des Nations unies sur la Détention Arbitraire a été en effet adopté il y a quelques mois, mais pour que cet avis puisse être connu de tous, il faudrait qu’il soit notifié aux parties notamment l’État en cause le Bénin en l’espèce. Ensuite, il faudrait, dans un premier temps, que l’Etat rende public ledit avis conformément au point 94 dudit avis à travers lequel le GTDA demande au Gouvernement d’“ user de tous les moyens à sa disposition ” pour assurer la diffusion de l’avis “ aussi largement que possible ”. Dans un second temps et dans l’hypothèse que le Gouvernement décide de ne pas suivre la recommandation du GTDA, il faudrait que la presse dans son rôle d’investigation et d’information ait l’information et la diffuse.

En résume, la rapidité ou la lenteur dans la diffusion de l’information dépend de trois facteurs que sont la date de notification de l’avis, la disponibilité du Gouvernement à respecter l’obligation de diffusion et enfin la proactivité des journalistes dans la recherche et le partage de l’information.

Evoquons à présent la décision elle-même, que peut-on retenir concrètement ?

Trois éléments méritent d’être retenus dans l’avis du Groupe de Travail des Nations unies sur la Détention Arbitraire. Le premier élément, c’est que le GTDA constate et dit que la détention du Professeur Frédéric Joël AIVO est arbitraire et contraire à tous les instruments juridiques internationaux de protection des droits humains libres ratifiés par l’Etat du Bénin. Le GTDA y relève de nombreuses violations sous-jacentes à savoir la violation du droit du Professeur AIVO à un procès équitable devant un tribunal impartial et indépendant, la violation du principe d’égalité des armes et la violation du droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense.

Le deuxième élément, c’est qu’après avoir constaté les nombreuses violations subies par le Constitutionnaliste, le Groupe de Travail des Nations unies sur la Détention Arbitraire demande au Gouvernement de remédier sans délai à la situation du Professeur en procédant à sa libération immédiate et en lui garantissant le droit à une réparation sous la forme d’une indemnisation. Dans un français facile, le GTDA/ONU demande la mise en liberté immédiate et sans condition de l’Expert des nations et demande à ce que l’Etat lui paie des dommages et intérêts pour les préjudices que toutes les violations de ses droits par l’Etat ont pu lui causer.

Troisième élément, comme pour prévenir ou décourager des cas similaires à l’avenir, le GTDA/ONU demande au Gouvernement de procéder à une enquête afin d’identifier et de sanctionner les auteurs de toutes les violations relevées.

Une décision similaire avait été déjà prise par le même Groupe de travail de l’Onu concernant l’opposante politique Reckya Madougou. Mais les autorités béninoises semblent rester indifférentes jusque-là. Madougou étant toujours en détention.

Ne devrait-on pas s’attendre à ce que le même sort soit réservé à cette décision ?

En Août 2020, le GTDA/ONU avait déjà adopté un avis similaire au profit du journaliste Ignace SOSSOU. En novembre 2022, un avis similaire a été encore adopté par le Groupe de Travail des Nations unies sur la Détention Arbitraire au profit de l’ancienne Garde des sceaux, Ministre de la Justice, de la Législation et des droits de l’Homme sans que le Gouvernement lui ait donné une suite favorable. Le Gouvernement est d’abord resté indifférent avant d’être contraint à faire connaître sa position suite à une procédure enclenchée contre lui devant la Cour constitutionnelle par de fervents Défenseurs des droits de l’Homme pour non-respect de la décision du GTDA. Le Gouvernement, devant la Cour constitutionnelle, n’a eu aucune gêne à dire que l’avis du Groupe de Travail des Nations unies sur la Détention Arbitraire reste un avis. Dès lors, le Gouvernement a estimé qu’il n’est pas tenu de le respecter. La Cour constitutionnelle a d’ailleurs donné un blanc-seing à cette posture en reconnaissant dans sa décision DCC 24-048 du 04 avril 2024 que l’avis du GTDA/ONU n’a qu’une valeur de recommandation avant de conclure à son incompétence à connaître du contentieux né du non-respect de cet avis.

Partant de ce précédent non-reluisant, il ne serait pas superfétatoire de dire que le Gouvernement observera la même attitude face à ce dernier avis du GTDA. Mais les affaires, même si relativement identiques, étant distinctes et impliquant des personnalités différentes et le contexte de fin de mandant aidant, il faut espérer que cette fois-ci l’Etat du Bénin donnera le bon exemple en mettant intégralement en œuvre l’avis du Groupe de Travail des Nations unies sur la Détention Arbitraire conformément aux engagements librement pris.

Dites-nous, quel est le caractère exécutoire des décisions du Groupe de travail de l’Onu ?

Les avis du Groupe de Travail des Nations unies sur la Détention Arbitraire n’ont pas un caractère juridiquement contraignant, car le GTDA est un mécanisme non-juridictionnel. La Cour constitutionnelle du Bénin l’a d’ailleurs rappelé en 2024 dans sa décision DCC 24-048 du 04 avril 2024. Cependant, l’absence de contrainte juridique n’annihile pas la pertinence et la force attachées aux avis du GTDA dans l’architecture onusienne de protection des droits humains et en diplomatie des droits humains. Les avis du Groupe de Travail des Nations unies sur la Détention Arbitraire ne sont certes pas contraignants, mais ils ne sont pas des gadgets avec une fonction décorative. Mieux, en siégeant au Conseil des Droits de l’Homme des Nations unies, le Bénin a pris l’engagement de respecter scrupuleusement toutes les décisions, avis et recommandations de tous les mécanismes onusiens de protection des droits humains. C’est en connaissance des exigences en matière de protection des droits humains à l’échelle internationale que le Bénin a battu campagne pour se faire élire puis réélire il y a quelques semaines au Conseil des Droits de l’Homme. Il n’y a donc aucune raison à ne pas respecter le dispositif auquel l’on a librement adhéré.

Lorsqu’un pays s’oppose ou n’exécute pas ces décisions, que risque-t-il ?

Un État qui décide de ne pas respecter les avis du Groupe de Travail des Nations unies sur la Détention Arbitraire ou de tout autre mécanisme de protection des droits humains se positionne comme un État « voyou » aux yeux du monde, pour reprendre les expressions de Patrice TALON alors candidat aux élections présidentielles de 2016 au Bénin. Un État qui se comporte ainsi perd en crédibilité. Mieux, un tel État est obligé de subir les courroux des mesures diplomatiques et économiques mises en place par le système des Nations unies même si généralement elles sont non perceptibles par les citoyens. Un État, ce n’est pas seulement les infrastructures et les enjoliveurs. Un État, c’est aussi la capacité à respecter ses engagements.

Dans le cas du Bénin, à quoi peut-on s’attendre ?

En droit, c’est la bonne foi qui est toujours présumée. Sur cette base, il faut espérer que le Bénin mettra en œuvre l’avis, même si les signaux semblent rassurer du contraire. Et si le Bénin venait à ne pas respecter l’avis, les mesures seront diplomatiques, politiques et économiques. Le droit international étant un droit souple. C’est aussi là une faiblesse qui fait en même temps la beauté du droit international.

Une analyse complémentaire ?

Les États doivent comprendre que la souveraineté a des limites dès lors qu’ils décident d’adhérer librement à une communauté de principes et de valeurs. Le Bénin, citoyen des Nations unies, de l’Union Africaine, de la CEDEAO et de l’UEMOA, doit continuer à être un exemple en matière des engagements librement pris.

Avez-vous un message ou un appel à lancer ?

En cette veille de fin de mandat caractérisée par un remue-ménage indescriptible et inquiétant, puisse la Providence sonder les cœurs et conduire le Gouvernement du Bénin à corriger toutes les violations des droits humains observées ces dernières années. Une telle correction n’est possible que par la mise en œuvre effective de toutes les décisions, avis et recommandations des mécanismes onusiens et régionaux de protection des droits humains et le retour au bercail de tous les fils et toutes les filles du Bénin vivant en exil

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Propos recueillis par Aziz BADAROU

Glory Hossou, Juriste et spécialiste des questions de droits humains

Le Groupe de travail de l’Onu a rendu une décision sur la détention du Prof Aivo. Avant d’évoquer le contenu de la décision, dites-nous pourquoi c’est seulement maintenant que la décision est rendue publique alors que les références mentionnent qu’elle date d’Août ?

D’abord il s’agit d’un avis. Pas d’une décision en tant que telle comme celles provenant d’un mécanisme judiciaire. Le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire est un mécanisme crée en 1991 alors qu’il était constaté dans plusieurs pays du monde, des détentions administratives, des détentions au secret, des détentions arbitraires c’est-à-dire contraires au droit et aux droits humains de personnes qui étaient critiques vis-à-vis des actions et pratiques d’un pouvoir établi. Des personnes détenues juste pour avoir exercé leur liberté d’expression, de réunions pacifiques et autres. Le Groupe de travail sur la détention arbitraire a donc été créé au même titre que 59 autres mécanismes spéciaux placés aujourd’hui sous l’égide du Conseil des droits de l’homme des Nations unies et vise à s’occuper des cas individuels de violations des droits humains signalés à travers le monde, faire du plaidoyer et faire avancer la législation internationale en matière de droits humains.

Evoquons à présent la décision elle-même, que peut-on retenir concrètement ?

Il faut retenir qu’après des mois de procédure devant le Groupe de travail avec des possibilités données au gouvernement béninois de se prononcer sur des faits allégués, il a été constaté que la détention du Professeur Joël Aïvo est arbitraire et contraire à la déclaration universelle des droits de l’Homme et au pacte sur les droits civils et politiques auquel le Bénin est partie. Cela remet donc en cause de facto et de jure, l’arrestation, la détention en vue de le juger, la condamnation et l’emprisonnement de M. Aïvo. Partant de là, le Groupe de travail a demandé quatre choses au gouvernement béninois dans son avis comme on peut le lire aux paragraphes 90, 91, 92 et 94. Concrètement il s’agit de : Premièrement, de prendre les mesures qui s’imposent pour remédier sans tarder à la situation de M. Aïvo et la rendre compatible avec les normes internationales applicables, notamment celles énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans le Pacte sur les droits civils et politiques. Deuxièmement, le Groupe de travail estime que, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, la mesure appropriée consisterait à libérer immédiatement M. Aïvo et à lui accorder le droit d’obtenir réparation, notamment sous la forme d’une indemnisation, conformément au droit international. Troisièmement le Groupe de travail demande instamment au Gouvernement de veiller à ce qu’une enquête approfondie et indépendante soit menée sur les circonstances de la privation arbitraire de liberté de M. Aïvo, et de prendre les mesures qui s’imposent contre les responsables de la violation des droits de celui-ci. Et quatrièmement, le Groupe de travail demande au Gouvernement d’user de tous les moyens à sa disposition pour diffuser le présent avis aussi largement que possible. Et nous n’en sommes pas encore à la fin parce que comme prévu au paragraphe 33 a) de ses méthodes de travail, le Groupe de travail a renvoyé l’affaire à la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains pour qu’elle prenne les mesures qui s’imposent. Donc dans les semaines et mois à venir, un mécanisme spécial onusien se prononcera une nouvelle fois sur ce qu’endure depuis des années le défenseur des droits humains, le Professeur Joël Aïvo.

Une décision similaire avait été déjà prise par le même Groupe de travail de l’Onu concernant l’opposante politique Reckya Madougou. Mais les autorités béninoises semblent rester indifférentes jusque-là. Madougou étant toujours en détention. Ne devrait-on pas s’attendre à ce que le même sort soit réservé à cette décision ?

C’est en réalité le troisième avis du groupe de travail qui constate des détentions arbitraires de personnes en l’espace de quatre années au Bénin. Le premier date de 2020 et portait sur la détention arbitraire du journaliste Ignace SOSSOU condamné pour harcèlement par le biais d’une communication électronique. Le Groupe de travail avait demandé sa libération immédiate et la révision du code du numérique. Ce qu’il faut faire aujourd’hui et surtout après cet avis sur la ‘’détention arbitraire’’  du professeur Joël  Aïvo constatée par le Groupe de travail, c’est d’inviter le gouvernement à s’y conformer. Il en va de la sécurité juridique de tout un chacun. Des béninois et béninoise d’aujourd’hui et de demain. Un Etat de droit se doit de se conformer aux décisions des mécanismes de protection des droits humains. Et le Bénin, étant membre réélu au sein du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU pour un second mandat, se doit de montrer le bon exemple. Appartenir à une communauté de principe et de valeur ne va pas sans exigences. Le gouvernement en fin de mandat devrait saisir cette occasion et libérer ces deux personnes conformément aux avis rendus par le Groupe de travail qui est un mécanisme important, sérieux et indépendant émanant du Système des nations unies auquel le Bénin est membre.

Dites-nous, quel est le caractère exécutoire des décisions du Groupe de travail de l’Onu ?

Le Groupe de travail sur la détention arbitraire comme tout mécanisme international de protection des droits humains ne dispose pas de police pour faire appliquer ces avis. Il faut surtout compter sur la collaboration et la bonne volonté des Etats. La communauté de principe et de valeur auquel le Bénin appartient et que constitue l’ONU devrait en principe être pour les gouvernants béninois un moyen de pression à l’effet d’appliquer ces avis. Si le Bénin ne mettait pas en application cet avis, le Groupe de travail en rendra compte dans son rapport.

Lorsqu’un pays s’oppose ou n’exécute pas ces décisions, que risque-t-il ?

De s’isoler. Un pays qui ne respecte pas les décisions des mécanismes de protection des droits humains est souvent vu comme un mauvais élève. Ce pays entache son image et son prestige sur la scène internationale. Il pourrait être considéré comme un pays qui n’est pas sûr, ce qui pourrait déteindre sur le climat des affaires et le développement durable.

Dans le cas du Bénin, à quoi peut-on s’attendre ?

L’image de marque du Bénin longtemps vu comme un pays démocratique a été vivement écorchée ces dernières années en raison de nombreuses violations des droits humains constatées en lien avec la liberté d’expression, le droit des médias, les violences électorales avec des pertes en vies humaines, les détentions arbitraires de Ignace Sossou, Reckya Madougou et maintenant Joël Aïvo. Le non-respect de cet avis pourrait davantage salir l’image d’un Bénin que les gouvernants, selon le Programme d’action du gouvernement, veulent, révélé, développé, sûr, accueillant et offrant des garanties de sécurité à toute personne sans distinctions aucune notamment d’opinion politique, de fortune, d’appartenance et autres.

Propos recueillis par Aziz BADAROU

Fréjus Attindoglo, juriste et spécialiste des questions de droits humains

Le Groupe de travail de l’Onu a rendu une décision sur la détention du Prof Aivo. Avant d’évoquer le contenu de la décision, dites-nous pourquoi c’est seulement maintenant que la décision est rendue publique alors que les références mentionnent qu’elle date d’Août ?

Le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire est un organe créé par la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, devenu plus tard le Conseil des droits de l’homme. Composé d’experts indépendants, ce groupe est habilité à recevoir des plaintes d’individus dénonçant une détention arbitraire.

Lorsqu’une plainte est reçue, le Groupe analyse les informations soumises et les transmet à l’État concerné pour recueillir ses observations. L’État dispose alors d’un délai de 60 jours pour répondre, avec la possibilité de demander une prolongation supplémentaire de 30 jours. Si nécessaire, le Groupe de travail peut également demander des informations complémentaires à la source ou au gouvernement. Ce n’est qu’après avoir obtenu toutes les informations nécessaires que les experts procèdent à une analyse approfondie et délibèrent sur le caractère arbitraire ou non de la détention. Ce processus peut prendre du temps.

Dans le cas d’espèce, le Groupe de travail a transmis la communication concernant Frédéric Joël Aïvo au Gouvernement béninois le 12 janvier 2024. Le Gouvernement n’a pas répondu dans le délai imparti ni demandé d’extension, bien qu’il en avait le droit. En conséquence, le Groupe de travail a délibéré dès le 22 mars 2024. Cependant, il ne revient pas aux experts de médiatiser les résultats de leurs délibérations. Cette tâche incombe à l’État concerné, qui, dans ce cas précis, ne l’a pas fait, probablement en raison des conclusions défavorables du document.

Evoquons à présent la décision elle-même, que peut-on retenir concrètement ?

La décision du Groupe de travail retient que le Professeur Joël Aïvo doit être immédiatement libéré, car sa détention est arbitraire et viole les engagements internationaux pris par le Bénin en matière de droits humains. Elle précise également que l’État doit lui accorder une réparation, notamment sous forme d’indemnisation, conformément au droit international. On retient aussi fondamentalement qu’en arrêtant et en détenant le Professeur Joël Aïvo dans ces circonstances, le Bénin a violé plusieurs dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Cependant, il est aussi important de souligner que le Groupe de travail n’a pas « inventé » ces conclusions. Les experts n’ont pas de la magie, ils ont simplement légitimé ce que nous dénonçons depuis l’arrestation du Professeur Aïvo. Selon cet avis, l’arrestation du Professeur n’a rien à voir avec les faits qui lui sont reprochés, mais plutôt avec son engagement politique et ses opinions critiques envers le gouvernement.

Cet avis est une très mauvaise publicité pour notre pays et notre système judiciaire, cela ne nous fait aucun honneur sur la scène internationale, nous ne sommes pas fiers de cette situation. Pour la deuxième fois en moins de deux ans, le Groupe de travail des Nations Unies déclare officiellement que le Bénin arrête et détient arbitrairement des individus engagés politiquement ou critiques envers le gouvernement. Cela est d’autant plus préoccupant que le Bénin a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques depuis mars 1992, un instrument juridique sur lequel le Groupe s’est appuyé pour rendre son avis.

Mieux, le Bénin a récemment renouvelé son mandat au sein du Conseil des droits de l’homme pour la période 2025-2027, l’organe qui institue justement ce Groupe de travail. Au fond, Nous dépensons des ressources dans des procédures judiciaires qui, au final, ne font qu’alourdir notre dette. Tôt ou tard, il faudra indemniser ces personnes pour les préjudices subis.

Une décision similaire avait été déjà prise par le même Groupe de travail de l’Onu concernant l’opposante politique Reckya Madougou. Mais les autorités béninoises semblent rester indifférentes jusque-là. Madougou étant toujours en détention. Ne devrait-on pas s’attendre à ce que le même sort soit réservé à cette décision ?

Il est difficile de croire que le Bénin respectera systématiquement cet avis, notamment au regard du précédent impliquant Madame Reckya Madougou. En effet, la Cour constitutionnelle avait affirmé que l’avis du Groupe de travail des Nations Unies n’avait qu’une valeur de recommandation. Elle avait également statué que la non-exécution d’un tel avis par le Président de la République et le Garde des Sceaux ne pouvait être considérée comme un acte, un texte ou une loi susceptible d’être soumis à son contrôle, conformément aux articles 3, alinéa 3, 117 et 122 de la Constitution. Sur cette base, elle s’était déclarée incompétente lorsque la question lui avait été posée, à savoir si la non-exécution de l’avis du GTDA/ONU concernant Madame Reckya Madougou était contraire à la Constitution et à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

Cependant, la Cour constitutionnelle nous a habitués à des revirements jurisprudentiels spectaculaires. Les juges ont déjà changé de position sur des sujets variés en un laps de temps très court. Peut-être reconsidéreront-ils leur approche concernant le respect des engagements internationaux pris par le Bénin en matière de droits humains.

Il est regrettable que notre pays, après avoir volontairement adhéré à des principes et des valeurs universels, refuse parfois d’en assumer pleinement la finalité. Pourtant, cette finalité inclut aussi l’obligation d’accepter d’être ramené sur le droit chemin lorsque nous semblons nous en écarter. Ces engagements ne sont pas pris à la légère : en y adhérant, nous savons pertinemment que leur respect peut impliquer des remises en question nécessaires pour garantir la cohérence avec les principes des droits humains que nous proclamons défendre.

Dans le cas du Bénin, à quoi peut-on s’attendre ?

Le Bénin devrait saisir cette opportunité pour libérer le Professeur Aïvo ainsi que Madame Reckya Madougou, qui a bénéficié d’un avis similaire. Cela offrirait à nos autorités une porte de sortie honorable et marquerait le début d’un apaisement du climat politique tendu dans le pays. C’est dommage que, comme souvent, les calculs politiques en vue des élections prennent le dessus sur les principes fondamentaux du respect de la dignité humaine. Nous espérons que cet avis sera respecté, bien que nos inquiétudes demeurent. Nous faisons confiance à nos dirigeants et pensons qu’ils saisiront cette ultime occasion pour renouer avec la tradition de respect des engagements internationaux en matière de droits humains.

Propos recueillis par Aziz BADAROU

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