(Des données inquiétantes révélées par Reporter sans Frontières)
Deux tiers des ressources naturelles mondiales sont extraites dans des pays où la liberté de la presse est gravement menacée. C’est ce que révèle une publication de Reporter sans frontière (Rsf). Selon l’organisation, les prédateurs des ressources naturelles se révèlent être des prédateurs de la liberté de presse…
Reporter sans frontières révèle que la majorité des ressources naturelles notamment des énergies fossiles, minéraux et ressources forestières proviennent de pays où enquêter sur l’extractivisme et ses impacts environnementaux et sociaux est difficile, voire impossible. Une conclusion résultant d’une étude comparative du Classement annuel de la liberté de la presse avec les données de l’exploitation des ressources naturelles. « L’organisation appelle la communauté internationale à combattre les entraves à la liberté de la presse dans ces pays et à garantir une protection renforcée aux journalistes afin qu’ils puissent couvrir les enjeux environnementaux liés à l’extractivisme. Plus de deux tiers des ressources naturelles mondiales sont extraites dans des pays où la situation de la liberté de la presse est qualifiée de “difficile” à “très grave” », selon l’analyse de Rsf. Selon Arthur Grimonpont, Responsable du bureau enjeux globaux de Rsf, le droit à l’information sur l’exploitation des ressources naturelles est vital pour comprendre les conséquences catastrophiques de l’extractivisme : pollution massive des écosystèmes, destruction de la biodiversité, épuisement des ressources, exploitation des travailleurs… “Sans journalistes pour témoigner des coupes rases, photographier les mines géantes à ciel ouvert ou raconter l’histoire de populations déplacées et exploitées, les crimes contre l’environnement et les droits fondamentaux auront lieu dans un silence meurtrier. Nous appelons la communauté internationale à faire pression sur les pays concernés afin qu’ils lèvent ces obstacles et garantissent la protection des journalistes environnementaux“ a-t-il lancé. Consciente des conséquences catastrophiques pour les systèmes terrestres et les processus écologiques qui soutiennent le bien-être humain et la biodiversité sur notre planète, l’Onu avait appelé à une action urgente et concertée de la communauté internationale pour modifier la trajectoire actuelle liée à l’extraction des ressources.
Le journalisme environnemental face à des obstacles…
De l’analyse de Reporter sans frontières, il ressort que le journalisme environnemental, qui est le premier relais de l’information sur les impacts de l’extractivisme, rencontre de graves obstacles. “À l’échelle mondiale, entre 2013 et 2021, 78 % des hydrocarbures (pétrole, gaz et charbon), 45 % des produits miniers, et 67 % des produits de l’exploitation forestière proviennent de pays qui connaissant une situation “difficile” à “très grave” en matière de liberté de la presse. Les pays où le journalisme est réduit au silence (situation “très grave”) représentent à eux seuls près d’un tiers (31 %) de l’exploitation mondiale des ressources naturelles“ lit-on dans ladite publication.
Prédateurs des ressources, prédateurs de la liberté de la presse
Dans son analyse, Rsf fait référence à la Chine, premier producteur de charbon et deuxième producteur de produits miniers et le deuxième exploitant forestier à l’échelle mondiale. Et selon les propos rapportés du journaliste indépendant spécialiste des matières premières Guillaume Pitron, “Bien que flagrantes, les destructions de l’environnement liées à l’exploitation minière sont peu documentées en Chine, car il est à la fois difficile de collecter des données, dangereux d’accéder au terrain, et presque impossible de publier des informations sensibles sur ces questions dans les médias nationaux”. L’analyse révèle également que les rares journalistes enquêtant sur les questions environnementales manquent cruellement de moyens, risquent d’être censurés ou qualifiés de “traîtres” et jetés en prison par le Parti, à l’instar de toute voix exposant des faits compromettants pour les responsables politiques et économiques. “Pire encore : en 2018, Lu Guang, photojournaliste lauréat du World Press Photo, qui a notamment exposé les ravages de l’industrie minière chinoise, a subitement disparu. Considérée comme la plus grande prison du monde pour les journalistes, la Chine occupe la 172e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2024. Son régime mène une campagne de répression systématique contre la presse indépendante“ informe l’organisation. La Russie (162e sur 180 dans le classement de RSF) est également citée, étant l’un des premiers exportateurs mondiaux d’hydrocarbures et de produits miniers. “Les journalistes environnementaux travaillent sous la constante menace d’une arrestation ou de violences, tout comme leurs confrères…Le gouvernement a également bloqué tout accès aux bases de données officielles sur l’environnement et la pollution“ peut-on également lire. Dans le lot, l’Inde (159e sur 180) se positionne. Dans ce pays qui compte parmi les premiers producteurs mondiaux de charbon, ainsi que de produits miniers et forestiers, les questions environnementales constituent l’un des sujets les plus dangereux à couvrir dans ce pays. “Parmi les 28 journalistes tués ces dix dernières années en Inde, près de la moitié enquêtait sur des sujets liés à l’environnement, tel que la “mafia du sable”, un réseau de crime organisé qui exploite illégalement cette ressource naturelle“ révèle Reporter sans frontières.
Plus inquiétant…
Il n’y a pas que la Chine, la Russie ou encore l’Inde qui mettent des barrières à l’enquête sur l’extraction des ressources naturelles. “Quant aux premiers producteurs mondiaux d’hydrocarbures, ils figurent presque tous parmi les pays où la répression du journalisme est la plus sévère. C’est notamment le cas des pays du Golfe persique, l’Arabie Saoudite (166e), les Émirats Arabes Unis (160e), l’Irak (169e), l’Iran (176e) et le Koweït (131e) qui contrôlent à eux seuls plus d’un quart de l’approvisionnement mondial de pétrole. L’impact de la combustion des hydrocarbures sur le climat est bien connu, mais celui de leur exploitation l’est beaucoup moins. Il est pourtant massif : les fuites de méthane associées à l’extraction de pétrole, de gaz et de charbon représenteraient à elles seules 7 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Or, celles-ci pourraient facilement être évitées à condition d’être repérées et signalées aux autorités, comme le font certains journalistes d’investigation, malgré de fréquentes restrictions d’accès au terrain pour les professionnels des médias. En outre, la rareté relative de cas d’agressions de journalistes dans de nombreuses régions d’exploitation intensive des ressources naturelles ne traduit généralement pas une meilleure sécurité de ces derniers. Elle s’explique au contraire par une couverture journalistique limitée, voire inexistante, due aux restrictions d’accès, au manque de ressources pour enquêter ou à l’autocensure de la profession dans ces zones“ révèle Rsf.
A.B