Dr Fortuné GANKPE, MD, MSc, FWFNS, IFCNS

Médecin Neurochirurgien et Expert en Santé Internationale

CNHU Hubert Maga de Cotonou, Benin

Introduction

Outre les principales maladies transmissibles telles que le paludisme, la tuberculose et le VIH, les systèmes de santé des pays à faible revenu sont confrontés à d’autres priorités sanitaires mondiales. En raison du développement de l’utilisation des véhicules à moteur et de l’augmentation de la densité démographique, les blessures, y compris les traumatismes crâniens et les lésions de la colonne vertébrale et la moelle épinière, deviennent une cause majeure de décès et d’invalidité. En 2016, il y a eu 27,08 millions de nouveaux cas de traumatismes crâniens et 0,93 million de nouveaux cas de lésions de la moelle épinière dans le monde, avec des taux d’incidence selon l’âge de 369 pour 100 000 habitants pour les traumatismes crâniens et de 13 (11-16) pour 100 000 habitants pour les lésions médullaires (1). Rapporté à la population du Bénin, le taux d’incidence selon l’âge des traumatismes crâniens en 2016 était estimé à 327 pour 100 000 habitants. Les victimes d’accidents de la route entraînant un traumatisme crânien ou de la colonne vertébrale éprouvent des difficultés dommageables pour leur survie, en particulier en République du Bénin. De nombreuses personnes meurent chaque jour dans nos hôpitaux parce qu’elles ont été renversées par un véhicule à moteur et qu’elles n’ont pas accès à des soins neurochirurgicaux ou qu’elles n’ont pas les moyens de payer de leur poche pour accéder aux soins de santé. Ces décès pourraient être évités. En effet, selon Kim et al, 22 % des décès chez les patients souffrant d’un traumatisme crânien pourraient être évités (2). Et ce n’est pas juste que cela continue ainsi ! On doit faire quelque chose.

Je vous raconte seulement deux cas qui sont arrivés au CNHU et pour lesquels j’ai eu mal dans ma chair.

Cas 1

Monsieur Abalo (nom d’emprunt) âgé de 32 ans, motocycliste victime d’un accident de la voie publique par collision avec une voiture roulant à forte vitesse, survenu sur la route Calavi – Cotonou aux environs de 21h le 20 Juillet 2024. Il est amené par les sapeurs-pompiers au CNHU Hubert Maga vers 22h18 dans un état somnolent. Il répond à peine aux questions, incapable d’ouvrir les yeux et bouge très peu la jambe gauche malgré la stimulation. Rapidement, Dr Hokpodehou, le résident en traumatologie – orthopédie de garde fait les premières prescriptions dont le scanner cérébral qui révèle un volumineux hématome extra-dural c’est-à-dire une collection de sang entre le crâne et le cerveau. Il fait appel au Dr Gbètoho, neurochirurgien de garde après lui avoir envoyé les images par WhatsApp. Celui-ci décide qu’il faut opérer monsieur Abalo et demande de le préparer pour le bloc opératoire en urgence. Hokpodehou et son collègue de la réanimation – anesthésie font alors les ordonnances de tous les consommables, et médicaments nécessaires pour l’opération de Abalo. Entre-temps, Isaac l’interne de garde avait retrouvé le téléphone de Abalo dans sa poche et appelé des numéros et sa famille était présentée à l’hôpital. La famille se réunit donc et trouve les 2 millions nécessaires à l’opération au bout de 3h.

Dr Gbètoho est informé que Abalo est prêt pour l’intervention, mais le bloc opératoire est actuellement occupé par Hokpodehou et son équipe pour un autre cas de fracture de la jambe. Finalement, le bloc se libère vers 5h du matin, entre-temps, Abalo s’était aggravé. Le réanimateur – anesthésiste dit qu’il cherche toujours de place en réanimation pour les soins après l’opération, sans quoi, on ne pourra pas l’opérer. Tout ceci nous amène vers 10h où Abalo a été admis au bloc opératoire. L’intervention s’était bien passée et Abalo a été admis en réanimation, malheureusement, il décède deux jours plus tard à cause des complications qu’on n’avait pas pu gérer.

Cas 2

Mme Vignon 28 ans, revendeuse de condiments monte sur un Zemidjan, son enfant Mahudjro de 3 ans au dos, en rentrant chez elle après le marché. En route, son pagne se défait et l’enfant tombe du dos et se casse la tête.

Le zemidjan les amène aux urgences du CNHU, où Dr Azonsou, le résident en chirurgie pédiatrique de garde, l’examine et trouve que l’enfant respire mais ne répond pas aux ordres et ni aux stimulations. Il prescrit les premiers soins à l’enfant et remet les ordonnances à la mère qui appelle le père de l’enfant qui arrive avec 20000 en poche à peine suffisant pour les premiers soins. Dr Azonsou appelle le Dr Gantin le neurochirurgien de garde qui demande de faire rapidement un scanner cérébral qui coûte 60000 – 80000 cfa. Les parents n’ont pas cette somme. Le papa supplie le personnel de soigner son enfant et qu’il va rembourser après avoir fait des courses le lendemain. L’enfant est admis aux soins intensifs et attend d’être soigné. Il est dans un coma jusqu’au 3ème jour lorsque le papa revient avec les 60000 cfa pour le scanner qui révèle une collection de sang dans le cerveau. Le neurochirurgien décide qu’il faut opérer l’enfant en urgence. De nouvelles ordonnances sont adressées aux parents qui sont impuissants face à la situation. L’enfant décède quelques heures plus tard après le scanner.

Commentaires

Alors, quels sont les commentaires que suscitent ces deux cas?

C’est l’inaccessibilité financière aux soins chirurgicaux de base. Il a fallu 3h de temps pour la famille pour mobiliser les 2 millions FCFA nécessaires à l’intervention de Abalo. Or, pour ces cas urgents, le délai de prise en charge est crucial. On estime que lorsque le cerveau reste sous pression  > 20 mm Hg pendant plus de 15 minutes au cours d’une période d’une heure, est réfractaire à tout traitement de premier niveau (https://braintrauma.org/coma/guidelines/guidelines-for-the-management-of-severe-tbi-4th-ed). Donc, plus tôt on traite le patient, mieux c’est. Abalo a été opéré tardivement et même si l’intervention s’était bien déroulée, son cerveau a longtemps souffert sous pression et n’a pas pu supporter les complications postopératoires et il est mort.

Les problèmes de ressources financières des familles est aussi la principale cause de décès de l’enfant Mahudjro victime d’accident de circulation. Le scanner cérébral coûte 60000 – 80000 cfa dans un pays où le SMIG est à 60000 cfa. Rendez-vous compte que ça vaut quasiment le salaire mensuel d’un travailleur. Et nombreux sont les Béninois qui se retrouvent dans la même situation que les parents de Mahudjro. On dit souvent que la santé n’a pas de prix mais ça coûte néanmoins quelque chose pour de nombreuses familles au Bénin. Il n’y a pas de sécurité sociale, ou d’assurance maladie pour près de 90% de la population. Ce qui est arrivé à Abalo et Mahudjro arrive tous les jours dans les hôpitaux du Bénin. Sur l’ensemble des cas de traumatismes qui arrivent au CNHU, plus du tiers représente des cas de traumatismes crâniens (Hodé et al, 2020). A ce jour, tous les béninois sans exception sont obligés de sortir de l’argent de leur poche pour avoir accès aux soins de santé. Pourtant la constitution du Bénin stipule que la santé est un droit pour tous. La nécessité de payer les soins de sa poche est un frein à la réalisation de ce droit à la santé pour la majorité des Béninois. Les dépenses de soins liés au traumatisme crânien nécessitant une intervention chirurgicale sont catastrophiques pour les familles au Bénin. Elles coûtent en moyenne 2 millions. Combien de béninois sont capables de sortir en urgence 2 millions pour obtenir des soins chirurgicaux après un accident de la route. Lorsqu’ils y arrivent, ils basculent le lendemain dans la pauvreté avec des dettes à rembourser. Les traumatismes crâniens touchent la population jeune autour de 20 – 35 ans, spécifiquement les hommes dans 84% des cas (Hodé et al, 2020). C’est cette population active qui travaille, produit la richesse et fait tourner l’économie béninoise. C’est un vrai problème de santé publique et nous devons agir pour limiter le fardeau que représente cette maladie.

Quelles peuvent être les solutions ?

En 2012, le gouvernement du Bénin a institué le port de casque obligatoire pour les motocyclistes et la ceinture de sécurité pour les automobilistes. Cette politique a probablement contribué à réduire les conséquences des accidents de la circulation. Elle a été étendue en 2024 pour les personnes remorquées. Il y a le projet ARCH (assurance pour le renforcement du capital humain) qui prévoit une protection sociale pour les populations défavorisées. Dans le volet assurance maladie de cette initiative, les traumatismes crâniens sont inclus dans le panier de soins de base selon le décret 2023-327 du 21 juin 2023 portant modalités de mise en œuvre de l’assurance maladie obligatoire au Bénin. Remarquez que les traumatismes vertébro-médullaires ne sont pas couverts par l’ARCH. Les médicaments ne sont pas pris en charge. Or c’est l’une des principales poches de dépenses pour les soins chirurgicaux de base comme c’était le cas de Abalo. Cependant à ce jour, nous continuons de prescrire même la petite seringue pour les premiers soins des patients victimes d’accident. Dans les hôpitaux du Bénin, le soignant prescrit une ordonnance de tous les consommables y compris les seringues et les gants que le malade doit honorer avant de subir une intervention chirurgicale.

Il faudrait rendre opérationnel ce décret et mieux étendre la couverture à tous les éléments du parcours de soins de ces patients. Il faut une couverture intégrale pour les traumatismes crâniens.

Le fond de garantie automobile qui participe à la prise en charge des blessés automobilistes doit s’étendre aux motocyclistes. D’où l’intérêt de rendre obligatoire la souscription à une prime d’assurance obligatoire pour les motocyclistes et tout engin roulant sur la voie publique.

Conclusion

Le Bénin continue de payer une lourde charge en termes de vie perdue et de produit intérieur brut du fait des accidents de la route. L’assurance maladie obligatoire doit être intégrale et couvrir toute la population pour garantir l’accès aux soins de qualité pour les victimes de traumatismes crâniens.

Référence

  1. GBD 2016 Traumatic Brain Injury and Spinal Cord Injury Collaborators. Global, regional, and national burden of traumatic brain injury and spinal cord injury, 1990-2016: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2016. Lancet Neurol. 2019 Jan;18(1):56-87.
  2. Kim SC, Song KJ, Shin SD, Lee SC, Park JO, Holmes JF. Preventable deaths in patients with traumatic brain injury. Clin Exp Emerg Med 2015;2(1):51-58.

 

Remerciement

Dr Ramya REDDY et Dr Kee PARK du programme PGSSC de Harvard Medical School

Biographie de l’auteur

Dr Fortuné GANKPE est médecin neurochirurgien au CNHU Hubert Maga de Cotonou. Diplômé de la Faculté de Médecine de Parakou, il a complété sa formation de neurochirurgie au Maroc, major de promotion et lauréat du programme Africa 100 de la World Federation of Neurosurgical Societies (WFNS), puis il est rentré au Bénin en 2020 où il a démarré sa carrière de neurochirurgien. Il est spécialiste des tumeurs du système nerveux et a initié un programme spécifique de prise en charge des patients souffrant de cette maladie au CNHU. Grâce à ce programme, il a opéré et soigné plusieurs malades notamment une femme enceinte qui souffrait d’une tumeur du cerveau.

Dr GANKPE a suivi plusieurs formations postdoctorales en France à l’hôpital Universitaire Pitié Salpêtrière de Paris, puis aux Etats-Unis dans les hôpitaux Brigham and Women’s Hospital et Massachusetts General Hospital de Boston qui font de lui un spécialiste chevronné de la neuro-oncologie au Bénin. Il a aussi reçu plusieurs prix à l’international dont le prestigieux prix « CNS Global Neurosurgery Award » de l’Université Harvard (1ère dans le classement des universités dans le monde) où il poursuit une formation complémentaire et mène des projets de recherche clinique.

Il est le fondé et directeur général du Centre de Recherche en Neuroscience Clinique Dossi Véronique Ahouandjinou et aussi directeur de recherche au LERAS (Laboratoire d’étude et de recherche – action en santé) qu’il a créé avec des amis.

Son objectif est de développer la pratique de la neurochirurgie au Bénin et permettre que tous les Béninois aient un accès équitable aux soins neurochirurgicaux de base sur toute l’étendue du territoire. Dr GANKPE aime la danse qu’il pratique régulièrement, les voyages et regarde le football à la télé (son équipe favorite est le Real Madrid). Il adore faire la cuisine et apprécie la bonne nourriture.

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