De « démocratie nescafée » à « dictature du développement » sous Yayi (2006-2016), on est arrivé à « Le Bénin est un pays de pagaille » sous Talon (2016 à nos jours). De ces expressions, on retient une chose, il y a trop de laisser-aller dans la démocratie à l’état brut. Une manière de dire qu’on ne peut faire la démocratie au Bénin comme en Occident. Boni Yayi a parlé de « Dictature de développement », sans vraiment la mettre en pratique. Mais il était certes convaincu qu’on ne peut aller au développement sans sacrifier certaines libertés acquises à l’avènement de la démocratie. La pratique véritable de cette conception de la démocratie, qui serait antinomique au développement, c’est sous le régime Talon que cela est perceptible.
En parlant d’un « Bénin, pays de pagaille », le chef de l’Etat ne l’a-t-il pas dit à demi-mot ? Patrice Talon n’a pas voulu employer les mêmes termes que Yayi, mais le sens n’est-il pas le même ? Quand on estime qu’il y a pagaille quelque part, en tant que chef, il faut mettre de l’ordre. N’est-ce pas dans cette quête de l’ordre que, pour la première fois depuis 1990, en 2019, aucun parti d’Opposition n’est représenté à l’Assemblée nationale ? N’est-ce pas cette même quête de l’ordre qui a fait que les principaux candidats de l’Opposition ont été recalés à la Présidentielle de 2021 ? Autrement dit, le soubassement des lois électorales, jugées exclusives, n’est-il pas ce besoin de mettre un terme à cette pagaille que constitue le multipartisme intégral hérité de la Conférence nationale de février 1990 ?
Il y en a, défenseurs du régime de la Rupture, qui le reconnaissent. Mais ils estiment qu’il faut aller au développement par tous les moyens, y compris même s’il faut mettre entre parenthèses certains principes de l’Etat de droit. Même s’ils ne le disent pas officiellement, la manière de fonctionner des dirigeants actuels du Bénin donne cette impression. C’est le constat que fera le Père Arnaud Eric Aguénounon dans son dernier livre intitulé « Le pouvoir du déni, Chroniques d’une démocrature assumée ». Si même on s’efforce de croire que la situation des opposants en prison et en exil est une affaire de justice et non politique, c’est une évidence que, de 2016 à ce jour, la démocratie ne s’exprime pas dans sa plénitude. L’ancien président de la Cour suprême Ousmane Batoko dira que, dans son fonctionnement actuel, la démocratie ne respire pas. Autrement dit sous la gouvernance actuelle, la démocratie ne respire pas. S’il le dit, c’est qu’il a des éléments de comparaison.
Le Bénin n’est pas né en 2016
Evidemment, le Bénin n’est pas né en 2016. Sous Nicéphore Soglo (1991-1996), le 1er Président du Renouveau démocratique, on pouvait dire que la démocratie s’est véritablement exprimée. Les Béninois sont encore nostalgiques de cette époque où l’Assemblée nationale comptait en son sein des gens de la trempe de Albert Tévoédjrè, Séverin Adjovi, Bruno Amoussou, Adrien Houngbédji, tous très virulents contre le régime Soglo. Et cela, sans qu’ils ne soient inquiétés. Sous Kérékou II (1996-2006), l’Opposition s’est aussi véritablement exprimée sans crainte aucune. La Renaissance du Bénin, principal parti d’Opposition d’alors, a même atteint le nombre record de 27 députés sur les 89 que comptait le Parlement, lors des législatives de 1999.
Quand on connait tout cela, et quand on fait la comparaison avec ce qui est aujourd’hui, on veut bien revivre ces époques. Et qu’on ne dise surtout pas que le développement et la démocratie sont antinomiques. C’est une fausse idée qu’on tente de diffuser. On peut bien avoir un Président développeur et démocrate dans l’âme. Vivement qu’à partir de 2026, le Bénin renoue avec son modèle démocratique des premières années du Renouveau démocratique, un modèle salué et envié dans la sous-région.