La campagne mondiale 2024 de soutien à l’allaitement maternel s’est tenue du 1er au 7 août 2024. Le thème de cette campagne est : ‘’combler l’écart : soutien à l’allaitement maternel pour toutes’’. Ce soutien, selon l’Organisation mondiale de la santé (Oms) porte entre autres sur le respect du droit de la femme d’allaiter à tout moment et partout…
Pour l’Oms, c’est une politique qui valorise les femmes et l’allaitement maternel. Mais, n’en demeure qu’elle suscite bien des interrogations. Déjà, quand on se réfère aux pesanteurs socio-culturelles, la faisabilité que la femme allaite à tout moment et partout semble, même si la donne est à saluer, d’une autre époque selon des observateurs, le sourire railleur. Entre modernité, volonté politique et le respect de ce droit de la femme par les employeurs, le chemin paraît bien long et parsemé d’embûches.
Déjà, au niveau des femmes elles-mêmes, c’est de l’utopie. Pour Kaoussara Okpeicha, Secrétaire de direction à Cotonou, emmener son bébé au service afin de l’allaiter se révèle contraignant. D’abord, évoque-t-elle, la femme n’aura pas toujours le réflexe, avant chaque tétée, d’aller se laver les mains, les seins… Aussi, dans des directions ou entreprises où la clientèle est importante, y exposer son bébé avec les risques de maladies vu l’état de santé fragile du nouveau-né, ne serait pas une bonne idée, va-t-elle aviser. Avoir à supporter les cris, les pleurs de ce dernier au service ne serait non plus professionnel. Au mieux des cas, après les trois mois de congé de maternité, Kaoussara Okpeicha, conseille que les employeurs accordent à l’employée allaitante, des heures pour rentrer afin d’allaiter son bébé. Si elle préconise l’assistance d’une nounou, là aussi, tout ne serait pas parfait, à l’écouter. « Il vaut mieux laisser l’enfant à la maison », finit-elle par conclure.
Mais à l’opposé, Chimène Nambi, coiffeuse de profession, n’y voit aucun problème. ‘’Mon apprentie peut librement emmener son nouveau-né à l’atelier pour l’allaiter. », confie-t-elle. Pour sa petite histoire, elle aussi, aurait bénéficié de cette grâce auprès de sa patronne pendant son apprentissage. Une grâce qui en réalité ne devrait pas être une puisque c’est du droit de la femme qui allaite, de pouvoir le faire même dans son lieu de travail où les conditions devraient le lui permettre. Seulement…
Une affaire de note méconnue ?
Le coup restera à jamais dur pour Julienne A. Institutrice dans une école privée, elle a dû sacrifier plus d’une année scolaire parce qu’étant allaitante et n’ayant personne à qui confier son nouveau-né. « Aucune des écoles que je trouvais ne voulait de moi car j’étais allaitante. La possibilité m’a également été refusée de le mettre à la garderie ou à la maternelle dans ces écoles…Il serait dérangeant. », raconte-t-elle.
« Quand j’accouche, je suis toujours peinée de faire par exemple de 7 h à 13h donc 6h de temps au collège avant de revenir à la maison pour allaiter mon enfant peut-être pendant 30 minutes et repartir avant de revenir tardivement le soir. Du coup, on ne peut plus se passer du lait artificiel, des boites de cérélac et tout ça ruine financièrement. Pis, l’hygiène n’est pas toujours assurée. », confie Inès Gnonlonfoun, enseignante. Pour elle, si une note est prise à cet effet, elle ne s’applique pas partout et donc sa doléance, « s’il y a possibilité d’avoir une cantine, un lieu discret pour que l’employée puisse allaiter à des heures précises son enfant et si on peut discipliner aussi un peu l’enfant pour que ces cris et pleurs ne soient pas de trop, ça vaut le coup. Ça sera bénéfique et pour la même et pour l’enfant…».
Et pourtant…
« Les textes prévoient ça au Bénin. Les nourrices peuvent venir au boulot à 9h. Elles ont aussi au moins 2h dans la journée pour satisfaire à l’allaitement maternel. », renseigne Dr Manassé Kakpo. Dans les pays développés, poursuit-il, il y a des crèches qui sont implantées dans les grandes structures pour permettre aux femmes d’allaiter leurs enfants n’importe quand. Selon ses propos, chez nous au Bénin, c’est l’aménagement des horaires qui est fait pour permettre aux mamans d’aller allaiter leurs enfants à des heures données. Mais l’idéal, à l’écouter, serait d’adopter le modèle de l’occident et de pouvoir créer dans les grandes structures, les administrations, des crèches internes pour permettre aux nourrices d’allaiter leurs enfants n’importe quand.
Des propos que soutient Dr Elisée Kinkpé. Apportant de l’eau au moulin de son collègue, il va notifier que « c’est bien possible d’allaiter partout. Dans les administrations, il y a une note qui décrète ça. Ils appellent ça’’ heure allaitement’’. Et, dans les services publics, les femmes allaitantes ont au moins deux à trois heures de pause pour allaiter. Dans les administrations, ce qui est de plus en plus conseillé, c’est qu’il y ait une garderie pour que les mères viennent avec leurs nourrissons et les y laissent. Il y a certains centres qui font déjà cette promotion. Il y a des garderies à l’intérieur où les femmes peuvent faire des pauses tétées. Les mamans s’absentent de leur poste pour aller donner du sein à leurs enfants. Donc c’est bien possible et c’est l’idéal même… »,
De son point de vue personnel et en tant que nutritionniste, Fayçolath Alamou, pense que Oui, toute femme peut alerter son enfant partout où le besoin se fera sentir. Si le besoin est là, pourquoi la femme va-t-elle priver l’enfant de sa nourriture ? S’interroge-t-elle. « Le lait maternel, c’est la nourriture de l’enfant et s’il en exprime le besoin, la femme a le devoir de le satisfaire. Même au boulot, cela doit pouvoir se faire au vu de l’importance de l’allaitement maternel. On ne devrait même pas avoir honte d’allaiter son bébé partout. Aujourd’hui, il y a des sous-vêtements qui permettent à la femme de juste sortir le téton sans avoir à exposer sa poitrine. Maintenant, il ne faut pas négliger l’aspect hygiène… ».
Plus pointu se veut Fiacre Alladaye. « En réalité, par rapport à l’allaitement maternel, expose l’Agro-nutritionniste, l’Organisation internationale du travail a prévu des conditions pour permettre à la femme allaitante d’allaiter n’importe où. « Pour des missions internationales, par exemple, il y a une nounou qui est mise à la disposition de la femme pour l’assister, pour garder l’enfant afin de lui permettre de travailler. On prend en compte la nounou qui bénéficie de certaines conditions : déplacement, restauration, hébergement, etc.
Tout ça pour permettre à la femme de pouvoir allaiter n’importe où. Ne pas permettre à la femme de le faire, c’est une façon de violer ses droits. Mais, la plupart des femmes n’ayant pas l’information ne savent pas que c’est un droit. Quand je parle souvent de ça, je fais allusion à ce que nous vivons. Nos États africains comprennent-ils l’importance de l’allaitement maternel au point d’offrir ces conditions ? », se questionne l’Agro-nutritionniste Fiacre Alladaye. Et c’est là que réside toute la problématique.
Cyrience Fifonsi KOUGNANDE