Témoignage cuisant et bien révélateur de ce à quoi peut ressembler l’univers d’un parent dont l’enfant est autiste au Bénin. Entre préjugés, manque de plateau et de spécialistes dans le domaine, pour l’abandon, l’incompétence de médecins qui se disent prêts pour le job afin de soutirer de l’argent aux pauvres gens, la liste des misères est longue.
Mais loin de laisser ces expériences faire d’elle une victime, loin de se plaire dans la dépression, même financièrement épuisée, Julia Bada dite maman Nathan a fait son choix. Rester debout.
Quand Nathan devait commencer à réagir, il ne faisait rien comme les autres enfants. Déjà, du côté alimentaire, il ne mangeait pas tout comme ses semblables. Il y avait à peine deux repas qu’il mangeait. Il ne réagissait pas à son prénom. Un jour, quand on l’a emmené au restaurant, il n’a pas arrêté de pleurer parce qu’il y avait du bruit. Même pour son premier anniversaire, il n’a pas supporté la présence des invités. Il pleurait tout le temps sauf quand on s’en éloignait. Ensuite, il a commencé à marcher sur la pointe des pieds. Il se mettait à l’écart quand il y avait d’autres enfants même ses cousins comme s’il ne les remarquait pas.
Il ne disait aucun mot jusqu’à 2 ans et même plus. Il se couvrait les oreilles dès qu’on était au bord de la voie et n’aimait pas découvrir de nouveaux goûts même le sucré. J’essayais de le stimuler avec des chants et autres pour qu’il interagisse et il réagissait en tournant sur lui-même quand je chantais ; ou tapait des objets ou dans mes mains. Il a des peurs inexpliquées jusqu’aujourd’hui. La poule, le mouton, etc, le mettent en panique et s’ensuivent des cris. A deux ans, je me demandais si tout ceci était normal. Je n’arrêtais pas de voir des pédiatres, des généralistes, ORL tout type de médecins que je pouvais quand il y avait les moyens.
Mes parents m’ont encouragée à ne pas abandonner. J’ai rencontré un énième pédiatre, je lui ai expliqué tout ce que je viens de vous décrire. Il m’a demandé de l’emmener chez un ORL réputé ici au Bénin. Toutefois, il m’a dit que Nathan semble avoir les signes de l’autisme mais que sa seule version ne saurait suffire. Il m’a donc conseillée d’aller voir les orthophonistes, pédopsychiatres et autres. Je ne savais rien de l’autisme et j’espérais une solution miracle, genre un médicament et mon fils s’en remettrait. Il m’a dirigée vers le Cnhu.
J’ai alors commencé les tours pour le Cnhu de Pahou où on logeait. On a dû prendre rendez-vous auprès du généraliste d’abord. Une première étape obligatoire et on a passé une demi-journée en salle d’attente avant de voir enfin une pléiade de personnes dans la salle de consultation où j’ai exposé mon problème. Il y avait deux docteurs, un homme et une femme et 4 stagiaires. J’étais surprise de les entendre me dire que c’est parce que j’ai de l’argent que j’ai entamé cette démarche de sitôt. Qu’il fallût attendre que Nathan ait 6 ans puisque d’autres enfants se comportent ainsi et qu’avec le temps ça leur passe.
J’ai répondu au docteur que, si après 6 ans, on me dit qu’il aurait fallu s’y prendre plus tôt, qu’il sera responsable des déconvenues. Il a prescrit 10 séances d’orthophonie à mon fils. Au final, les trois fois que je suis venue pour voir l’orthophoniste, c’était toujours l’assistant que je voyais et on me demandait de payer d’abord 65 000 F Cfa ou 75 000 F Cfa pour les séances avant de voir le spécialiste. Un jour, alors que je revenais du Cnhu, j’ai eu un accident avec Nathan. Heureusement, il s’en est sorti sauf. Mais moi, j’étais blessée de partout. J’ai donc décidé de ne plus y retourner. D’abord, parce que rien de bon n’en sortait et ensuite, les navettes étaient épuisantes pour nous deux. On est alors resté dans le vide diagnostic comme ça jusqu’à ses 4 ans.
Par la suite, j’ai rencontré un ami dont les parents interviennent dans le domaine médical. Il m’a fait rencontrer un orthophoniste et on a commencé les séances. Seulement, quelques temps après, il y a renoncé me signifiant qu’il fallait attendre que Nathan soit un peu plus calme parce qu’il était très agité. Je n’ai plus voulu reprendre avec lui. Subséquemment, on est resté encore longtemps comme ça. J’ai fait des recherches en ligne pour savoir s’il y a d’autres centres à part le Cnhu et j’ai trouvé une clinique à Vodjè mais, elle n’était jamais disponible pour nous recevoir.
J’ai poursuivi mes recherches et j’ai vu en ligne, une association au Rwanda portée par une dame qui militait pour la cause des enfants autistes. Je lui ai écrit sur Messenger et elle m’a conseillé un psychologue ici au Bénin. Je l’ai rencontré et le diagnostic a été fait. Ils sont les premiers à confirmer officiellement que Nathan est autiste. Ils m’ont proposé deux écoles où mettre mon enfant. On a dû déménager à Abomey-Calavi où il a rejoint le jardin d’enfants de Sos village d’enfants Abomey-Calavi. La directrice a été la plus aimable des personnels éducatifs que j’ai vus durant mon parcours. Nathan a donc commencé. Il fallait un bilan médical.
On nous a proposé un ORL qui a détecté le frein de langue et des amygdales qu’on a fini par opérer. On a vu une orthophoniste qui nous disait de le faire asseoir face au mur et de le taper au cas où il bouge en le surveillant pendant plus de 2 heures. J’ai laissé ma première boutique en déménageant à Calavi et j’ai dû fermer aussi la seconde, celle de Calavi, à cause de toutes les tracasseries… ».
Genèse de l’ONG EVA pour autistes
« J’étais épuisée à tel point que j’ai suspendu toutes les séances. On était épuisé psychologiquement pour moi et physiquement puis financièrement pour mon mari. J’ai fait une dépression et je me suis retrouvée ensuite à décider de m’occuper de mon fils moi-même à la maison en m’appuyant sur les soins que j’ai appris en ligne auprès des spécialistes surtout français et américains.
Des expériences parents aux spécialités thérapeutiques, j’ai commencé à penser à ce que je pouvais faire pour aider les enfants autistes comme mon fils et leurs parents. Pour ces enfants qui deviennent un phénomène pour les ignorants ; pour les mamans comme moi ou même les papas qui se sentent dépassés et frôlent la dépression ; qui abandonnent des opportunités et des possibilités de travailler et de s’épanouir individuellement comme collectivement. Ceci, afin de s’occuper de leurs enfants autistes. Je vois des parents et des enfants complètement perdus et pas épanouis. La routine de la vie avec un enfant autiste n’est pas facile. Ainsi, en tenant surtout compte de l’aspect distance, du manque de spécialistes, de centres éducatifs, de moyens de distraction, d’écoles et de garderies, j’ai commencé à m’entourer de personnes passionnées, dévouées et intéressées à faire de l’autisme une cause de choix pour l’épanouissement et l’inclusion des enfants autistes au Bénin. On a commencé par se renseigner de fond en comble, par avoir des contacts de personnes ressources dans le domaine. J’ai donc créé l’ONG.
Notre ONG « EVA Autisme » est opérationnelle et le Centre est à Abomey-Calavi. Nous sommes à Kpota vers Aïtchédji et aussi à Arconville dans la cité située derrière les policiers. Nous proposons aux parents des solutions dans tous les domaines de la prise en charge de l’autiste. Nous accompagnons aussi les enfants autistes dans le suivi, leur autonomie et inclusion en passant par leur épanouissement. Cette année, (rentrée académique 2023-2024 Ndlr) Nathan a été refusé dans 4 écoles au moins. Il a 7 ans maintenant. Mais grâce à l’ONG, il a trouvé une école où il a sa place et un centre où je le stimule autant que possible avec les moyens de bord adaptés en la matière et un équipement spécifique pour tout parent d’enfant autiste qui, même de chez lui, peut s’en sortir. Les enfants autistes, il faut les garder en routine et en habitudes constructives.
L’objectif à travers l’ONG EVA Autisme, est de faire comprendre aux parents qui ont des enfants autistes, de cesser de les garder à la maison en les enfermant et en les maltraitant tout le temps. Ce ne sont pas des enfants sorciers. On m’a fait croire que Nathan était envoûté. On lui a fait des scarifications quand il avait 4 ans pour le libérer soi-disant d’un mauvais sort mais ça n’a rien donné. Au Centre EVA, il y a un système d’accueil journalier adapté que nous offrons de manière accessible à toutes les bourses…».
Du Projet d’appui… : « c’est une bonne initiative »
« Concernant le Projet, je ne saurais véritablement me prononcer là-dessus. On n’a pas encore une suite à la première partie de sélection. Mais en général, c’est une bonne initiative de chercher à aider les parents pour l’épanouissement des enfants. Nous sommes dans l’attente de la suite. Ceci, afin de décider si oui ou non nous allons relancer nos propres plans pour l’année scolaire prochaine vu qu’on est à quelques semaines de septembre, ou si nous devons compter sur le gouvernement ».
Propos recueillis par Cyrience Fifonsi KOUGNANDE