Dans la partie septentrionale du Bénin où la population est majoritairement musulmane, l’émergence de nouveaux courants islamiques rend difficile, la cohabitation entre les fidèles musulmans. La paix est menacée et les positions se radicalisent. Immersion dans une guerre d’idéologies dans les communes de Kandi et  Malanville. 

 

Ici, à Kandi, environ 640 kilomètres au Nord de Cotonou, des mosquées bien bâties sont érigées de part et d’autre au point où on a tendance à croire que chaque concession dispose de sa mosquée. Le constat est le même partout tant au centre-ville qu’à la périphérie. Ce foisonnement de mosquées cache pourtant une guerre larvée entre les fidèles musulmans. L’accalmie apparente observée à Kandi, depuis la dernière décision du Tribunal sur les conflits intra-religieux, cache bien un climat de méfiance. C’est une communauté musulmane divisée qui est éclatée en plusieurs sectes ou confréries idéologiques  islamiques parfois radicales et opposées. Les adeptes de ces confréries se regardent en chien de faïence. Rencontré à la mosquée centrale de Kandi au quartier Bakpara, le secrétaire des personnes du troisième âge et président de la ligue des droits de l’homme, Mama Bio Buhari, se dit très déçu de la guéguerre au sein de la religion musulmane. Une guéguerre particulièrement animée par l’opposition entre les sunnites ou sunantché, un courant récent dont les fidèles sont majoritairement des intellectuels arabisants, et les Tidjaniyya. Et pourtant, ce qui les oppose semble bien banal… Accusé de prôner la violence et d’être à l’origine des derniers conflits à Kandi, El Hadj Hamissou Mohamed, un leader Tidjaniyya est pointé du doigt par les sunantché. Après deux rendez-vous manqués, El Hadj Hamissou nous accueille dans sa belle demeure, construite à côté de sa mosquée. Un long soupir puis, sur un ton plus ou moins grave, il fait observer que “ce sont les biens matériels de ce bas monde (sic) qui justifient les clivages observés dans la religion à Kandi“. « Nous reconnaissons tous les cinq piliers de l’Islam et attestons de l’unicité d’Allah et de ce que le prophète Mohamed est son messager », confie-t-il. Pourtant, ils sont divisés. La réalité est que les Tidjaniyya refusent que les sunnites les traitent de mécréants, d’égarés parce qu’ils sont restés attachés aux pratiques anciennes ou à un Islam plus traditionnel.

 

La dissension a même pris l’allure d’un conflit intergénérationnel. Abdoulaye Kareem Alassane, intellectuel arabisant, regrette qu’« ailleurs, tout le monde écoute les savants alors qu’en Islam, tout le monde se dit savant ». Et il tranche : « Les savants, ce sont les sunantché ». « Si, dans nos prières, nous implorons Allah pour que nos enfants aient davantage de connaissances que nous, ce n’est pas pour qu’ils nous traitent d’ignorants », se désole Mama Bio Buhari. Depuis plus de dix ans, c’est la lune de fiel entre son fils, Ibrahim Traoré Sabirou, leader sunantché, imam prédicateur, et lui. Si malgré leur opposition, il accepte de nous conduire vers son fils, l’accueil a été froid. Le regard sévère au départ, l’imam prédicateur Ibrahim Traoré Sabirou se détend par la suite. Il accuse les Tidjaniyya de se détourner des recommandations du prophète, développées dans les hadiths, le livre explicatif du coran. « Nous développons les hadith et ils développent l’opposé… De plus, ils ne sont pas d’accord avec tous les hadiths…et nous clamons haut et fort qu’on ne peut expliquer ou s’expliquer le coran sans les hadiths » a-t-il lancé. La véritable pomme de discorde réside dans le fait que les Tidjaniyya rejettent certains hadiths que El Hadj Hamissou juge “non authentiques“. En réalité, ce courant récent (sunantché) est accusé de prôner une doctrine radicale et violente. Mais pour Salifou Bouraïma, sage et membre du Conseil supérieur de l’Union islamique, les sunnites sont combattus parce qu’ils prônent la doctrine juste. Le même conflit est aussi perceptible à Malanville, commune située à une centaine de kilomètres plus au Nord. Sunnites et Tidjaniyya se livrent la même guerre. Le deuxième adjoint au maire de Malanville, Sambo Moussa, a confié que des mesures subséquentes ont dû être prises pour encadrer les prêches en raison des vives tensions. Cependant, la cohabitation reste très difficile entre les musulmans. Et pour preuve, l’imam central de l’arrondissement de Guéné, Issa Arouna qui se réclame médiateur n’a pu s’empêcher de lancer des invectives aux fidèles sunantché qu’il accuse d’être à l’origine des conflits. Et à l’imam Abdul Hamed, leader tidjaniyya du village de Bodjécali, d’affirmer que derrière l’émergence des nouveaux courants dont les sunnites et les conflits, se trouvent des projets et des financements arabes. Les fidèles de ces courants sont donc accusés de bénéficier des financements des pays arabes pour répandre leur idéologie. Une thèse visiblement confortée par de nombreux témoignages. «Ces nouveaux mouvements comme les Sunantché, Tidjaniyya, les Tab’lik, les Chiiya, les Izala, les Ahmadiyya, les Gaoussou sont le fruit des coopérations et des bourses d’études Arabo-Islamiques avec des pays comme l’Arabie Saoudite, l’Irak, la Turquie, le Koweït », interprète Mama Bio Buhari. Ce qu’approuve l’imam Djalil Yessoufou, Secrétaire général de l’Union islamique du Bénin qui constate un défaut de connaissance approfondie de ces courants par ces nouveaux leaders.

On tire sur la ficelle…la paix sous-tension

« Harâm !». C’est la réaction de Issa Arouna, imam central de Guéné (Malanville), à la question de savoir s’il a essayé de dialoguer avec les sunnites après les conflits. Une réponse qui illustre bien que la voie menant au dialogue entre ces courants reste épineuse. « Le dialogue, c’est impossible au regard du niveau avancé des clivages », martèle la première adjointe au maire de Kandi, Saka Osseni Zinatou. Et à Abdoulaye Kareem Alassane, intellectuel arabisant d’affirmer qu’il ne peut y avoir de dialogue tant que ceux de l’ancienne classe ne s’aligneraient derrière les savants que sont les sunnites. «…la scission est une prédiction du prophète qui avait prophétisé que la religion islamique sera divisée en 73 courants, et que du lot, seul un courant verra les portes du paradis. Donc, c’est inutile de chercher à dialoguer », a confié l’imam Abdul Ahmed de Bodjécali  à Malanville. Si à Malanville, les positions sont tranchées, à Kandi on est prêt à aller à un dialogue intra-religieux, mais on pose des conditions : que ce soient des médiateurs neutres et qu’ils se fondent sur le Coran et les hadiths pour aplanir les divergences. « Même tout de suite, nous sommes prêts à dialoguer, qu’on se réunisse à la grande mosquée et qu’on interroge le coran et les hadiths. Car Allah a demandé que nous soyons unis», a lancé El Hadj Hamissou Mohamed, leader tidjaniyya. Et à l’imam Ibrahim Traoré Sabirou, leader sunantché d’ajouter « il ne devrait pas avoir de mésentente entre nous. Le dialogue d’accord, mais à condition que chaque courant prêche suivant sa doctrine et il reviendra à la communauté de choisir qui suivre ». Houdou Ali, président d’une fondation islamique de charité et l’Imam Djelili Yessoufou s’accordent sur le fait qu’Allah, dans le coran, a exhorté les musulmans à dialoguer avec les “gens du livre“ que sont les chrétiens et surtout de rester unis. Selon eux, il n’y a alors pas de raison qui justifie une guerre entre musulmans. Bouraima Abdul Karimou, président du cadre de dialogue “Coexister“ quant à lui, appelle au respect de la liberté religieuse, recommandée par le coran. Mais en attendant, la cohésion sociale est fortement menacée à Kandi et Malanville.

De l’interprétation des hadiths à la remise en cause de l’authenticité de certains hadiths, les sunnites et les tidjaniyya s’accusent de mécréants. Le premier point qui les oppose reste l’heure de la prière de l’après-midi (Zuhr) fixée à 14 heure par les tidjaniyya alors que les sunnites le font souvent à 13 heure ou quelques minutes après. Autre point objet de discorde, la célébration de la naissance du prophète(Mawlid ou Maouloud) qui n’est pas prescrite par le coran, selon les sunnites. Aussi, alors que les tidjaniyya rejettent certains hadiths, les sunnites attestent qu’aucun musulman ne peut rejeter les actes du prophète, le guide. Si pour les tidjaniyya, leur leader Ahmed Tidjani a tout appris auprès du prophète Mohamed, les sunnites estiment qu’il n’a jamais connu le prophète au regard de l’écart d’années entre les deux. De plus, les tidjaniyya sont accusés d’associer la religion islamique à la culture africaine pour faire du maraboutage. Les sunnites s’en prennent également aux autres confréries islamiques. Ils reprochent aux Ahmadiyya de ne pas reconnaître que Mohamed est le sceau dernier des prophètes et accusent les Tab’lik de faire des prières “cachées“ qu’ils ne partagent qu’avec des fidèles ayant atteint un certain niveau de foi. Quant aux Gaoussou, un sous-courant des tidjaniyya, ils sont accusés de faire croire aux fidèles que leur leader a des pouvoirs divins. Ces derniers se distinguent par le port d’un chapelet spécial au cou. Un chapelet qu’ils vendraient cher à leurs fidèles même si le vice-leader des Gaoussou de Kandi, Sambo Sidikou, estime que le coût du chapelet est à 3500francs Cfa. Il reconnaît tout de même que des fidèles, au regard des bienfaits du chapelet, se l’offre à des sommes plus importantes. Menacés, souvent agressés et interdits de culte à un moment donné, les Gaoussou de Kandi, majoritairement peulhs, se sont retirés dans la brousse. A Kandi, on les retrouve à Angaradebou à plus d’une trentaine de kilomètres du centre-ville. Dans leur récitation des versets coraniques, ils attestent de l’unicité d’Allah mais ne proclament pas que le prophète Mohamed est son messager. Autant de divergences qui rendent difficile, la cohabitation entre tous ces fidèles de l’Islam à Kandi et Malanville…

 

Aziz BADAROU

 

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