Forte de son score aux récentes élections européennes et législatives, l’extrême droite française se trouve en position de force pour accéder au pouvoir en France. Une possibilité qui inquiète au vu de certaines mesures du programme du Rassemblement national et des déclarations passées de certains de ses membres.

En 2022, le numéro 2 du Rassemblement national affirmait déjà que la volonté du « peuple » devait primer sur le Conseil constitutionnel. Le vice-président RN de l’Assemblée nationale, lui, se plaignait de « ne jamais pouvoir rien faire » à cause de ce dernier.

Candidat RN aux législatives dimanche, l’avocat Pierre Gentillet était encore plus explicite et disait : « Si demain, nous voulons nous affranchir (…) de certaines normes qui nous empoisonnent, à la condition de mettre au pas le Conseil constitutionnel, nous pourrons tout faire ». « Le seul souverain en France, c’est le peuple », avait aussi réagi la cheffe des députés et figure du parti Marine Le Pen, sur France Inter. Cela après avoir été interrogée sur les impasses de ses projets constitutionnels.

Et plus récemment, c’est lors de la censure d’une partie de la loi immigration par le Conseil constitutionnel, en janvier 2024, que l’extrême droite française avait multiplié les attaques contre les Sages (surnom donné aux membres de l’institution). Les deux têtes de l’alliance entre le Rassemblement national et une partie des Républicains, Jordan Bardella et Éric Ciotti, étaient montées au créneau : respectivement, elles avaient dénoncé « un coup de force des juges » et dénoncé que le Conseil jugeait « en politique et non en droit ».

De telles déclarations, déjà qualifiées d’illibérales à l’époque, inquiètent aujourd’hui alors que le Rassemblement national est aux portes du pouvoir en France. Cela car certaines mesures de son programme risquent de ne pas passer les filtres du Conseil constitutionnel : en guise d’exemple, l’une des mesures phares du RN, donner « priorité » aux Français dans l’accès à certains droits.

« Il n’entre pas dans mes fonctions de me prononcer sur le programme de tel ou tel mouvement politique. Je me bornerai à dire, puisque c’est constant, que la préférence nationale – appliquée de façon systématique – est contraire à la Constitution », avait estimé en mai l’ancien ministre socialiste et actuel président de la juridiction Laurent Fabius.

« Des forces politiques contre la forme de démocratie libérale »

Ainsi, nombre d’acteurs des institutions judiciaires et politiques dressent un parallèle avec l’Europe, où d’autres partis de droite nationaliste et illibérale se sont attaqués aux juges et ont réduit les prérogatives des pouvoirs constitutionnels, impactant insidieusement les acquis de l’État de droit.

En Pologne, en 2015, le parti nationaliste Droit et justice (PiS) avait remplacé d’autorité des juges constitutionnels par des magistrats acquis à sa cause et avait réformé le fonctionnement du Tribunal constitutionnel, provoquant une grave crise avec Bruxelles. Fin 2021, la haute juridiction polonaise était allée jusqu’à déclarer une partie des traités européens incompatible avec la Constitution du pays, faisant craindre un « Polexit » judiciaire.

Après son retour au pouvoir en Hongrie en 2010, le Premier ministre nationaliste Viktor Orban a, lui, drastiquement limité les possibilités de recours au tribunal constitutionnel en vue de contrôler l’action de l’exécutif.

En Slovaquie, à peine arrivé au pouvoir, Robert Fico a démantelé le parquet anticorruption qui enquêtait sur ses proches. Aujourd’hui, c’est une loi sur l’indépendance des médias publics qui inquiète la Commission européenne et l’opposition dans le pays. Et en Italie, c’est aussi en s’attaquant aux ONG d’aide aux migrants ou en modifiant certaines modalités électorales que l’extrême droite assoit son projet.

Partout où l’extrême droite et nationaliste passent en Europe, le droit prend un coup dans l’aile. « C’est assez inhérent parce que tout simplement ce sont des forces politiques qui se définissent elles-mêmes comme étant contre la forme de démocratie libérale qui s’est développée dans l’Occident et notamment en Europe depuis 1945 en ayant notamment un problème, je dirais fondamental, avec un certain nombre de contre-pouvoirs », analyse Lukas Macek, chef du centre Grande Europe de l’institut Jacques Delors.

Un programme « dans les limites de la Constitution »

Mais peut-on envisager une telle mise au pas des institutions en France suite à une arrivée au pouvoir de l’extrême droite ?  Des contre-pouvoirs existent, rappellent des experts. Un gouvernement d’extrême droite pourrait mettre en œuvre son programme « dans les limites de la Constitution », rappelle Paul Cassia, professeur de droit public à l’université Panthéon-Sorbonne.

« Par exemple, il ne serait pas possible de créer une discrimination entre Français, de même qu’il ne serait pas possible de supprimer le droit du sol. Cette dernière nécessiterait une révision constitutionnelle » précise-t-il. Or, en l’état actuel des forces politiques françaises, la procédure de révision de la Constitution qui, en théorie, doit être initiée que par le chef de l’État et doit recueillir l’assentiment des trois cinquièmes des parlementaires. Ce qui semble inenvisageable pour l’extrême droite pour l’instant.

Qu’en serait-il d’un gouvernement passant outre une décision du Conseil constitutionnel, une hypothèse « heureusement théorique pour l’instant » ? « Ce serait un coup d’État de droit. Un coup de force sans précédent. Ce serait sortir du cadre républicain que de ne pas appliquer une décision du Conseil constitutionnel. On serait dans autre chose, un État où les coups de force sont permis et où finalement, la Constitution n’est plus le cadre que, y compris les autorités publiques, doivent respecter. Donc ce ne serait plus la République en fait », note Paul Cassia.

« S’arrêter avant le point de rupture »

Enfin, une telle attaque contre l’État de droit d’un pays se heurterait aussi aux institutions européennes. Ce qui est notamment le cas en Europe où les partis nationalistes effilent les libertés publiques. Ainsi, Varsovie avait ainsi été condamné fin 2021 à verser un million d’euros d’astreinte quotidienne pour avoir tenté de mettre au pas sa justice.

« Une sanction européenne de la France serait symboliquement d’autant plus forte, car la France est un pays moteur de l’Union européenne », estime Thibaud Mulier, maitre de conférence en droit public à l’université Paris-Nanterre.

Pour autant, l’application de ces garde-fous européens serait une gageure tant les procédures sont longues. « Il faut que toutes les voies nationales soient épuisées pour que la Cour européenne des droits de l’homme soit un contre-pouvoir. Ça prend des années. Regardez pour le cas polonais et pour le cas hongrois, cela a mis des années avant que la justice commence à sanctionner.

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