Présentée comme une solution innovante pour garantir la continuité académique dans les universités, c’est-à-dire la poursuite des cours face à la nécessité de respecter les mesures barrières à la Covid-19, la plateforme E-learning se révèle comme une initiative dont la pérennisation est plus qu’indispensable. Dans cette première partie de notre enquête menée sur les campus universitaires d’Abomey-Calavi et de Porto-Novo, des témoignages et constats montrent que l’expérience est loin d’être concluante.

Cela n’a pas été du tout dans l’intérêt des étudiants“. Ce témoignage de Mohamed D, étudiant à l’Université d’Abomey-Calavi, résume bien la frustration et la déception des étudiants suite à leur première expérience avec la plateforme E-learning. Officiellement lancée le 11 mai 2020 à l’Université d’Abomey-Calavi (Uac), la plateforme E-learning (https://elearning.etudiant.bj/) devrait permettre à la communauté estudiantine des universités publiques du Bénin de suivre les cours en ligne dans un contexte de crise sanitaire de la pandémie de la Covid-19. En effet, pour se conformer aux mesures barrières dans l’optique de freiner la propagation du coronavirus dans les universités publiques, des facultés, écoles et instituts se retrouvent face à l’option inévitable de suspension des cours. La plateforme E-learning apparait alors comme la seule alternative pour la poursuite des activités académiques au niveau de l’enseignement supérieur.

Conçue et mise en œuvre par l’Agence nationale de Sécurité des Systèmes d’Information (Anssi), la plateforme E-learning est censée permettre aux étudiants de suivre les cours en ligne, d’inter-agir avec leurs enseignants durant les cours en ligne, d’avoir accès à des ressources pédagogiques (support) et d’avoir accès à une messagerie électronique et à un Tchat. Et pour y avoir accès, il suffit à l’étudiant d’y créer son propre compte afin de disposer des identifiants pour se connecter et accéder aux cours et ressources pédagogiques via la plateforme. Son accessibilité est gratuite avec le soutien des opérateurs de téléphonie mobile Moov Bénin et MTN Bénin via le « Zéro rating ». Quant aux étudiants ne disposant pas de smartphones ou encore d’ordinateurs, ils ont été invités à se rendre dans les 24 salles numériques, les 14 centres multimédias postaux ou les 40 Points Numériques Communautaires installés sur toute l’étendue du territoire national afin d’utiliser les outils numériques déjà disponibles.

La plateforme E-learning est donc déployée dans les universités publiques du Bénin avec toutes les garanties nécessaires pour un bon déroulement des cours loin des amphis. Seulement, les attentes sont loin d’être comblées bien que ce soit une initiative louable et indispensable.

Université d’Abomey-Calavi : Une première expérience non concluante…

“Je ne sais même pas de quoi vous parlez, cela sert à quoi cette plateforme ? Je n’en ai jamais entendu parler“, s’étonne Arnaud B, étudiant à l’Université d’Abomey-Calavi, lorsqu’il lui a été demandé de partager son expérience de l’usage de la plateforme E-learning. Et la même réponse nous a été servie par plus d’une vingtaine d’étudiants rencontrés sur le campus universitaire d’Abomey-Calavi (8 km au Nord de Cotonou). Si certains confient avoir été informés du déploiement de la plateforme, la plupart n’en ont pas fait usage car ignorant tout du fonctionnement, selon des témoignages recueillis. Selon ces derniers, les étudiants n’ont pas été sensibilisés et formés dans l’optique d’une meilleure appropriation de l’outil, pourtant destiné à la communauté estudiantine.

Mohamed D., titulaire d’une licence à l’Uac, est l’un des étudiants ayant le plus fait usage de la plateforme E-learning au niveau de sa faculté. S’il déplore également un défaut de sensibilisation des étudiants, il fait savoir que plusieurs autres raisons justifient le fait que la plupart des étudiants n’en fassent pas une option pour suivre les cours. Pour l’étudiant, le fonctionnement de la plateforme n’a pas été ce à quoi il fallait s’attendre. “…il vous faut activer un forfait internet pour se connecter. En plus, cela consomme assez de données et beaucoup d’étudiants n’ont pu suivre les cours faute de moyens pour se connecter pour certains et défaut de smartphone pour d’autres“ confie-t-il avant de préciser qu’il est possible de débourser jusqu’à 5000Fcfa de données internet pour suivre les cours de la journée. Ces frais ne sont pas à la portée de tous les étudiants. Et de poursuivre : “On est obligé, par l’intermédiaire des responsables étudiants, de courir vers les professeurs pour avoir les versions physiques des cours si non, tout le monde n’y a pas accès. La compréhension n’y est pas du tout“.

L’autre réalité évoquée par la plupart des étudiants rencontrés est que le réseau n’est pas stable et les explications des enseignants ne sont pas toujours audibles. La gratuité d’accès aux cours via Zoom sur la plateforme n’aura été qu’une annonce, selon Sandrine Z, étudiante à l’Uac. “Nous n’avons pas constaté cela parce qu’avant même d’insérer son identifiant pour avoir accès au compte, il faut forcément disposer d’une connexion internet si non, ce n’est pas du tout gratuit. L’accès est toujours payant“, a-t-elle confié.

Plus inquiétant, la plateforme de cours en ligne notamment les séances sur Zoom n’admettent pas un grand nombre d’étudiants alors que les effectifs des entités sont importants. Selon les témoignages recueillis auprès des étudiants, la plateforme n’admet pas plus de 100 étudiants pour suivre un cours. Au-delà, les étudiants n’y ont plus accès. “Alors que dans les amphis, vous avez plus de 1000, 2000 voire 3000 étudiants pour chaque entité ou faculté“, déplore Mohamed. “Ce sont les premiers venus qui parviennent à se connecter et si tu as la chance d’être connecté et pour une quelconque raison, tu perds la connexion, tu ne pourras plus y accéder si une autre personne se connecte dans ce laps de temps… Tout le monde n’arrive donc pas à suivre le cours simultanément“ témoigne-t-il.

Le corollaire est que ceux qui n’ont pu se connecter doivent se référer à ceux qui ont eu la chance de suivre les cours pour avoir des explications avec le risque que la restitution ne soit pas forcément fidèle à ce qui a été dit lors du cours. “Ce qui a fait qu’il y a eu beaucoup qui n’ont pu valider les matières lors des sessions et ont dû prendre part aux rattrapages mais beaucoup ont encore échoué“ déplore Sandrine. Ce qu’atteste un autre étudiant qui a requis l’anonymat. A l’en croire, très peu d’étudiants s’intéressent à la plateforme E-learning, du fait qu’elle n’est pas perçue comme la solution qu’il fallait aux difficultés de la communauté estudiantine.

Des témoignages recueillis, il ressort que depuis la reprise des cours dans les amphithéâtres, les étudiants ne font plus recours à la plateforme. Bien qu’elle soit accessible, elle n’est visiblement plus utilisée par la communauté universitaire de l’Uac à l’exception de quelques écoles disposant d’une meilleure connexion internet, confie Mohamed D.

Contacté, le vice-recteur chargé des affaires académiques de l’Université d’Abomey-Calavi, Patrick Houessou estime qu’il faudra s’en tenir aux témoignages des étudiants et se référer au ministère du numérique et de la digitalisation ainsi que celui de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Selon notre source, l’administration de l’Uac n’est pas véritablement impliquée dans la gestion de la plateforme pour en parler.

Contacté, Ouanilo Mèdégan Fagla, à l’époque Directeur général de l’Agence nationale de Sécurité des Systèmes d’Information, structure en charge de la mise en œuvre de la plateforme E-learning, n’a pas daigné répondre à nos préoccupations. Approché, un responsable de l’Agence nous notifie ce qui suit : “L’interlocuteur approprié sur les sujets abordés est le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Je vous prie de bien vouloir faire le suivi avec eux“.

Saisi par courrier, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique n’a toujours donné suite à nos préoccupations. Après quelques échanges, le Point focal communication du ministère n’a pas jugé nécessaire de répondre aux messages et appels téléphoniques. Pendant ce temps, la responsable communication du ministère du numérique nous réfère au ministère de l’enseignement supérieur qui serait habileté à en parler.

Université de Porto-Novo : cela n’a jamais été une réalité !

 

Dans une zone reculée de la commune d’Adjarra se trouve, érigée la Faculté des lettres, arts et sciences humaines. Encore appelée l’université de Porto-Novo ou d’Adjarra, cette entité n’a toujours vécu l’expérience du E-learning. Des témoignages des étudiants rencontrés, une quelconque plateforme de cours en ligne n’a jamais été présentée à cette communauté estudiantine. “Je ne crois pas qu’il y ait eu cette plateforme par ici, nous n’avons pas entendu parler et aucune note de l’administration ne nous en parle“ laisse entendre Martin K, admettant que cela aurait pu être un soulagement en raison du nombre limité d’infrastructures servant d’amphis. Approchée, une source proche de l’administration nous renseigne que la plateforme E-learning n’a jamais été une effectivité sur le campus universitaire. A l’en croire, des instructions ont été données afin que les enseignants renseignent des fiches techniques pour le déploiement de la plateforme mais cela n’a pas abouti. “Nous n’avons pas de connexion internet ici et les enseignants ont estimé qu’on ne pouvait pas leur demander de débourser pour les données internet afin de faire les cours en ligne aux étudiants“ confie la source.

Une initiative pourtant louable…

Quoi qu’elle soit une réussite ou un échec, la plateforme E-learning reste une initiative salutaire et qui se trouve bien en phase avec la vision du gouvernement de faire du Bénin, la Plateforme numérique de l’Afrique de l’Ouest. Intervenant le 04 juin 2020 dans la rubrique AskGouv, initiée par la Direction de la Communication à la Présidence de la République, la ministre du numérique et de la digitalisation, Aurélie Adam Soulé Zoumarou a évoqué la plupart des préoccupations soulevées par les étudiants au sujet de la plateforme E-learning.

Concernant la consommation des données internet, la ministre insiste sur le fait que les cours en ligne ne sont pas payants. De ses explications, il ressort que l’accès aux ressources pédagogiques notamment les cours et la documentation ainsi que la messagerie électronique, est gratuit. Et de de préciser que les cours sont systématiquement enregistrés puis mis en ligne 24H après et sont accessibles gratuitement.

“…Là où il y a un coût c’est lorsque…vous devez accéder à la visioconférence pour pouvoir suivre en direct le cours qui est donné par un professeur…Donc je me connecte…sur la plateforme et puis je joins le cours à travers l’outil aujourd’hui que nous avons sur la plateforme qui est l’outil ZOOM. Et là effectivement, lorsque vous accédez en direct jusqu’ici le coût d’accès pour le volume de données que vous devez utiliser sur internet vous est facturé par votre fournisseur de service internet“ a précisé la ministre Aurélie Adam Soule Zoumarou qui a annoncé, par la suite que “le gouvernement a pris la décision de rendre gratuit en fait cet accès à la plateforme ZOOM“. Selon les témoignages recueillis, cette gratuité n’a pas été effective et il faut disposer des données internet pour accéder à la plateforme.

Quant à la limitation du nombre d’étudiants dans les séances en ligne via l’application zoom, la ministre explique que seuls les comptes personnels sur Zoom limitent le nombre de participants à une séance en ligne.  “Des comptes professionnels ont été acquis pour cela par le gouvernement et mis en place donc implémentés sur la plateforme par l’équipe de l’Anssi…La difficulté majeure c’est que nous avons au niveau des universités encore des professeurs qui utilisent leur compte ZOOM personnel qui n’a donc pas les mêmes possibilités que les comptes professionnels qui ont été acquis au titre de la plateforme de E-learning. Quand vous remarquez ces limitations, il serait bien d’attirer l’attention du professeur sur la question de façon à ce qu’il utilise plutôt les comptes professionnels que leur compte personnel“ a-t-elle clarifié. Lesdits comptes professionnels ont-ils été réellement utilisés pour faciliter l’accès au cours à tous les étudiants ? “L’accès a été souvent limité à un nombre restreint“, fait savoir Sandrine, étudiante à l’Uac. L’évidence, le déploiement de la plateforme E-learning à l’Université d’Abomey-Calavi et de Porto-Novo est bien perçu comme une expérience au goût d’inachevé. (A suivre)

Aziz BADAROU

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