Déjà trois ans de détention pour les opposants au régime de Cotonou, Reckya Madougou et Joël Aïvo. Mais comme aux premières heures de leurs condamnations respectivement à 20 ans et 10 ans de prison, les voix ne cessent de s’élever çà et là sur le continent et dans le monde pour demander leur libération.
Une façon de dire, 3 ans, ça suffit maintenant. Le présent appel vient du journaliste à la rédaction d’Afrique francophone de la Deutsche Welle, Média public international allemand, le Tchadien Eric Topona Mocnga depuis Bonn (Allemagne). Dans une émouvante tribune parue à la Une du magazine panafricain Jeune Afrique ce 7 avril 2024 et intitulée : « Bénin, appel pour la libération de Reckya Madougou et de Frédéric Joël Aïvo », Eric Topona Mocnga parle des qualités de Reckya Madougou et de Joël Aïvo. « Le Bénin a encore besoin d’eux, car ils demeurent habités par la passion de servir leur patrie » laisse-t-il entendre. Lire l’émouvante tribune du Tchadien Eric Topona Mocnga
Bénin : appel pour la libération de Reckya Madougou et de Frédéric Joël Aïvo
Condamnés respectivement à vingt ans et à dix ans de prison dans deux procès distincts, l’ancienne ministre de la Justice de Thomas Boni Yayi et l’universitaire sont en détention depuis trois ans. Par une grâce présidentielle puis une loi d’amnistie, le président Patrice Talon peut rétablir leur honneur.
Reconnus coupables, l’un de blanchiment de capitaux et de complot contre la sûreté de l’État, l’autre, de financement du terrorisme, le professeur et opposant Frédéric Joël Aïvo et l’ex-ministre de la Justice Reckya Madougou sont maintenus en détention depuis trois ans au Bénin.
La présente tribune n’a guère la prétention de refaire le procès, à l’issue duquel des peines de prison de dix ans et de vingt ans ont été prononcées à l’encontre de l’un et de l’autre, encore moins de questionner les chefs d’inculpation pour lesquels ils se sont retrouvés devant les juridictions pénales de leur pays. Frédéric Joël Aïvo et Reckya Madougou, comme leurs conseils, ont plaidé leur cause devant les juges avec suffisamment d’arguments pour qu’il ne soit pas nécessaire de revenir sur leur part de vérité, que les médias nationaux et internationaux ont abondamment relayée.
Engagés pour le Bénin
Au demeurant, il me semble que le temps est venu de ramener ces dignes enfants du Bénin à leurs occupations dans la vie civile et à l’affection des leurs. Ils ont incontestablement fait la preuve, durant leurs années de liberté, de leur attachement à leur pays. Le Bénin a encore besoin d’eux, car ils demeurent habités par la passion de servir leur patrie.
J’ai connu le Pr Frédéric Joël Aïvo à l’Université d’Abomey-Calavi, où il fut mon enseignant d’histoire des idées politiques en 2008. Je garde de cet homme aux origines modestes le souvenir de sa proximité jamais démentie avec ses étudiants et ses talents prodigieux d’enseignant. Constitutionnaliste de haut vol, il s’emploiera, dans son parcours académique, à mettre sa quête de savoir en adéquation avec sa vision d’une Afrique libre, moderne et démocratique. À cet égard, sa thèse de doctorat en droit public, qui donnera également lieu à son premier ouvrage intitulé Le Président de la République en Afrique noire francophone. Essai sur la sociologie et les évolutions institutionnelles de la fonction au Bénin, au Cameroun, au Gabon et au Togo, fut soutenue sous la direction de l’éminent maître, le professeur Théodore Holo.
Plus jeune doyen de la faculté de droit et de science politique de l’Université d’Abomey-Calavi, celui que ses étudiants appelaient avec admiration et déférence « le Professeur » a également été le premier président de l’Association de droit constitutionnel du Bénin. Fort de cette expertise, il a jusqu’à présent été invité comme enseignant dans de nombreuses universités, en Afrique et en Europe, et il aura apporté sa science à la réforme des institutions dans de nombreux pays et aux processus de démocratisation.
Femme de tête, homme de conviction
Mais le professeur Frédéric Joël Aïvo est aussi un intellectuel dans la cité. Il est de ces universitaires ou intellectuels qui estiment que tout savoir n’a de valeur que s’il s’exprime en actes et s’incarne dans les réalités de son temps pour l’amélioration de la condition humaine. À l’image de Voltaire, on garde de lui le souvenir de son opposition au président Thomas Yayi Boni, et l’histoire retient qu’il n’hésita pas à prendre la défense de ce dernier lorsqu’il l’estima victime d’arbitraire.
Reckya Madougou, pourrait-on dire, est faite du même bois. Femme de tête, elle a à son actif un parcours prestigieux qui fait honneur au Bénin et à l’Afrique. De l’Institut des hautes études internationales de Paris à la Harvard Kennedy School, cette citoyenne du monde s’est dotée de solides outils pour comprendre le monde et le transformer afin de le rendre meilleur. C’est tout naturellement que ses compétences seront sollicitées dans la haute fonction publique de son pays ou celle de pays étrangers, comme au sein de multinationales.
Tout en menant des études prestigieuses, elle n’a jamais maintenu sous le boisseau ses convictions civiques et militantes, et ce, dès sa prime jeunesse. Elle est à cet égard auteure d’un ouvrage fort remarqué, Mon combat pour la parole. Les défis d’une mobilisation citoyenne pour la promotion de la gouvernance démocratique (L’Harmattan, Paris, 2008, préface de Christiane Taubira).
Loi d’amnistie ?
J’estime que le chef de l’État, Patrice Talon, à l’instar de quelques-uns de ses homologues en Afrique de l’Ouest, saura trouver le juste moment, dans un avenir que je souhaite le plus proche possible, pour remettre en liberté et restituer leur honneur à Frédéric Joël Aïvo et à Reckya Madougou, qui sauront apporter leur pierre à la consolidation de la paix et à l’émergence du Bénin.
Le président Patrice Talon, comme il en a pris l’engagement solennel, se rapproche de son deuxième et dernier mandat à la tête du Bénin (en 2026). Son expérience, son savoir et son savoir-faire demeureront utiles à son pays. Il serait opportun pour l’intérêt supérieur de « l’ex-Quartier Latin » et sa stature dans l’histoire, de léguer à la postérité une démocratie apaisée et un Bénin réconcilié. D’ores et déjà, des signaux qui sont à saluer ont été donnés en ce sens avec la réintégration des principaux partis dans le jeu politique lors des dernières élections législatives de janvier 2023. Un pas supplémentaire, utile et salutaire, serait à mon avis une grâce présidentielle puis une loi d’amnistie qui aurait le mérite de les rétablir dans leurs droits civiques et politiques. Seule l’amnistie, contrairement à une grâce présidentielle, pourrait les délier des infractions pour lesquelles ils ont été condamnés.
J’ose espérer que le 31 juillet prochain, comme de coutume à la veille de la fête de l’indépendance au Bénin et des traditionnelles remises de peine, une loi d’amnistie en leur faveur viendrait tourner cette page et inaugurer un nouveau cycle politique. Vivement !
Éric Topona Mocnga
Journaliste à la rédaction Afrique francophone de la Deutsche Welle (média international allemand), à Bonn.