Les serveuses de bars au Bénin notamment à Cotonou et environs, exercent dans une situation de vulnérabilité, de précarité. Recrutées en provenance majoritairement du Togo et du Nigéria par l’intermédiaire de personnes interposées appelées “démarcheurs“ et sur fond de tromperie, elles sont victimes de la traite des personnes au Bénin. Elles se retrouvent victimes d’une exploitation économique en exerçant dans les débits de boissons. A la découverte des conditions de travail des serveuses de bars dans le deuxième épisode du Dossier spécial sur les serveuses de bars au Bénin !

18 heures de travail journalier pour moins de 20.000F cfa par mois. Ainsi se résume la situation de Marina, de nationalité togolaise, et serveuse depuis deux ans dans l’un des bars les plus animés du 1er arrondissement de Cotonou, à Akpakpa. Elle prend son service à 13 heure pour ne finir que le lendemain matin à 07 heure, pour une rémunération mensuelle généralement inférieure à 20.000Fcfa (30,4 euros). Marina nous explique que sur son salaire fixé à 30.000Fcfa (45,7 euros) il lui est retiré chaque semaine une somme pour couvrir les charges d’électricité et d’ eau qu’elle utilise pour se laver. A cela s’ajoute encore des pénalités si elle est accusée de retard, si elle tarde à servir un client ou si un client se plaint d’elle. Ce qui fait qu’en deux ans, Marina n’a presque jamais perçu un salaire mensuel au-dessus de 20 000Fcfa.

Comme Marina, nombreuses sont les serveuses de bar victimes d’exploitation économique, travaillant de 15heure à 18 heure par jour, et finissant au petit  matin après le départ du dernier client.

Selon une enquête réalisée par Amnesty international Bénin dans cinq départements (l’Ouémé, l’Atlantique, le Littoral, le Borgou et le Zou) les serveuses travaillent bien au delà des quarante heures légales par semaine (art 142 du Code du travail). Il n’est pas rare, selon Eric Orion Biao d’Amnesty international Bénin de voir des serveuses contraintes de travailler une vingtaine d’heure sur les 24 heures que compte une journée. L’avocate Josette Attade, confirme cet état de fait sachant que la majorité des bars ouvrent 24h sur 24h et sont souvent en sous-effectif .

Alors que nous remarquons sur Facebook un message de recrutement de serveuses venant d’un cabinet dénommé Institut d’études stratégiques et de management (IESM) nous contactons le responsable : celui-ci nous confirme que les serveuses n’ont droit qu’à un seul jour de repos dans la semaine. Un autre message de recrutement, toujours sur Facebook, précise comme horaire de travail : de 11 heure à 02 heure du matin.

Solange travaille comme serveuse de bar à Agblandandan (département de l’Ouémé). Elle prend son service à 16 heure, voire 15 heure, pour finir vers 5 heure du matin. Logée par le promoteur, à quelques mètres du bar, il n’est pas exclu que le gérant fasse appel à elle, pendant qu’elle se repose, pour d’autres tâches comme l’entretien des lieux. La veille, c’était la soirée “WOLOSSO“ dans le bar : elle a dû travailler de 9 heure jusqu’au lendemain à 7 heure du matin pour reprendre son service à nouveau à 15 heure. Elle confie être exténuée et souffrante mais il n’est pas question de solliciter une permission au risque de subir des retenues sur son salaire..

Côté santé, aucun dispositif n’est généralement mis en place par les promoteurs de bar pour favoriser une prise en charge sanitaire des serveuses. Ce que confirme Mathieu Sagbo Kakpo, évoquant les actions menées à cet effet entre octobre 2015 et juin 2017 dans le cadre du projet “Droit des migrants en action“.

Marina, serveuse de bar à Akpakpa a dû compter sur l’aide de clients pour se faire soigner récemment des maux  au bas-ventre à Lomé.

Exploitation économique : très bas salaires et retenues fantaisistes

Les serveuses de bar exploitées, outre le fait qu’elles travaillent dans des conditions précaires avec une charge de travail énorme, perçoivent donc une rémunération dérisoire. Une rémunération qui n’est pas régulièrement versée et souvent amputée de retenues diverses et variées.

D’un bar à un autre, la rémunération mensuelle des serveuses de bar est comprise entre 20 000FCFA (30,5 euros), 25 000 FCFA (38euros) et 30 000FCFA (45,8 euros). Une somme bien en dessous du Salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig) au Bénin qui est de 52 000FCFA (79,4 euros). Pour Gloria Kponou, psychologue-clinicienne, il s’agit d’un “sous salaire“ en déphasage total avec les dispositions du Code du travail en vigueur en République du Bénin. Eric Orion Biao ajoute que ces serveuses n’ont aucun contrat de travail et “peuvent être renvoyées selon l’humeur du patron ou du gérant“.

Dans un bar situé à Dégakon, premier arrondissement de Cotonou, le promoteur semble avoir fait l’option d’une politique de non-paiement des salaires. Ici, tous les mois ou les deux mois, on y rencontre de nouveaux visages. Selon nos investigations, la stratégie est de faire croire aux serveuses qu’il n’y a pas eu assez de ventes dans le mois et que le bar n’est donc  pas en mesure de payer les salaires. Déçues, la plupart s’en vont pendant que le promoteur se lance à la recherche de nouvelles serveuses qui connaitront, à leur tour, le même sort. La main d’œuvre y est donc exploitée et pas du tout rémunérée.

Quant aux retenues de salaires fantaisistes, les cas pullulent. Déborah est surprise un jour par le gérant en train de somnoler. Ce dernier la prend en photo  et transfère l’image au promoteur. Celui-ci décide alors de retrancher deux mille FCFA sur le salaire de Déborah. Juliette, serveuse dans un bar à Avotrou, quartier périphérique de Cotonou confirme ce genre de pratiques: “Si tu es en retard même de quelques minutes, on te défalque 1000Fcfa…Tu refuses de céder aux caprices d’un client, on te retire 1000FCFA pour manque de respect au client. Ce sont des choses qu’on ne te dit pas au moment du recrutement“

 Eric Orion Biao, coordonnateur de l’Education aux droits humains à Amnesty international Bénin précise qu’il est généralement attribué des zones de service  à chaque serveuse et que celle-ci est rendue responsable de tout ce qui se passe comme incident dans son secteur. Un verre cassé, une bouteille brisée ou encore une chaise endommagée, c’est le salaire de la serveuse qui en pâtit.

La plupart des promoteurs de bar que nous avons rencontrés laissent entendre que les serveuses sont en partie responsables de ce qui leur arrive ! Ils ne nient généralement pas les faits d’exploitation sexuelle et économique mais ils tentent, par contre, de se défendre. Promoteur du bar “Le Parisien“ à Parakou, Moubarak Ali Yérima laisse entendre que des efforts sont consentis pour protéger les serveuses des clients mais déplore que ces dernières… ne leur facilitent pas la tâche : « elles sont prêtes à tout pour se faire de l’argent. En voulant protéger ta serveuse, tu peux être mal vu car tu te rends compte qu’elle avait déjà une liaison avec le client“ affirme-t-il, estimant qu’il revient d’abord à la serveuse de se faire respecter.

Interrogé sur les défalcations arbitraires faites sur les salaires des jeunes femmes, il accuse les serveuses de faire preuve de mauvaise foi. D’après lui, la serveuse, dès qu’elle a faim, ne se contente pas de demander un prêt mais se permet de retirer de l’argent dans la caisse. “Elle peut enlever 2000FCFA ou 5000FCFA pour se tresser et quand vous lui demandez des comptes, elle feint de ne pas comprendre où esst passé l’argent manquant…Elles se dévoilent parfois lorsqu’il y a une mésentente entre elles“ prétend le promoteur du bar “Le Parisien“. A la question relative aux défalcations pour retard, il affirme “Oui je le fais régulièrement car si la serveuse est en retard, cela handicape le business car nous avons un système rotatif pour leur permettre de récupérer. Des serveuses, après le boulot, au lieu d’aller dormir, vont chez le client et passent toute la journée avec lui ».

Moubarak Ali Yérima reconnaît tout de même que des promoteurs de bar  abusent de serveuses même s’il laisse entendre qu’elles sont elles-mêmes responsables de l’image de prostituée qu’on leur attribue. Selon ses propos, elles décident de se livrer aux clients pour avoir plus de revenus en dehors du salaire.

Quant à la rémunération, il justifie les très maigres salaires par le fait que les promoteurs prennent en charge l’hébergement. Si on l’écoute,  impossible pour un promoteur de bar de payer un salaire à hauteur du Smig en raison de l’hébergement offert à ces dernières.

Une position que ne partage pas tous les promoteurs. Agbohessou Noël à la tête du bar “New City“ pense qu’il y a nécessité de corriger le tir et qu’il faut payer au Smig les serveuses qui travaillent trois fois plus que les salariés ordinaires: “Il faut ralentir cette exploitation abusive de serveuses“ Sur les abus sexuels dont sont victimes les serveuses, sa position est tout différente et beaucoup plus cynique:  «  Les hommes en général veulent aller se distraire dans les débits de boissons, et cela implique ces attouchements inacceptables, non consentis aux serveuses. Le patron mène une activité qui doit lui rapporter de l’argent, s’il réprimande tout de suite, il peut perdre ses clients…Donc ce n’est pas de gaité de cœur que le promoteur essaie de fermer les yeux sur certains dérapages de ces clients“ .

Membre du bureau directeur de l’Association nationale des promoteurs de bars-restaurants du Bénin (Anaprobar), Nina Rafath Konou est promotrice du bar “Le Refuge des intimes“ à Akpakpa à Cotonou. Pour elle, l’avènement des soirées “WOLOSSO“ a impacté négativement le vécu actuel des serveuses de bar.  “Dans mon bar, je dis aux gens, serveuses, caissiers et gérant que si un client les emmerde, qu’elles demandent à une autre serveuse de s’en charger ; il est demandé aussi au gérant de ne pas s‘en prendre à une serveuse qui refuse de servir un client. J’ai déjà vu des clients irresponsables qui débarquent, prennent une bière de 600FCfa et demandent à toucher les seins de la serveuse…J’apprends surtout aux filles à ne pas s’engueuler avec les clients en leur demandant de trouver des astuces pour calmer le client tout en lui promettant d’être à lui dès qu’elle trouve un temps de répit. Mais je confirme qu’il y a des bars, poursuit Nina Rafath Konou, où des promoteurs obligent des serveuses à se prostituer surtout dans les lieux qui font des soirées “Wolosso“.On leur demande d’aller danser, souvent nues, ou d’aller s’asseoir sur les cuisses des clients ou même d’assouvir leur appétit sexuel.“

La représentante de l’Association nationale des promoteurs de bars-restaurants du Bénin (Anaprobar) prétend qu’il n’est pas envisageable de payer des salaires de 52000FCFA, soit le Smig, au regard des charges d’un bar. Nina Rafath Konou affirme verser 25 000FCFA de salaire à ses serveuses, avec la possibilité de leur faire des cadeaux à la fin du mois en guise de motivation. La grille salariale recommandée par l’Association recommande des salaires de 25 à 30 000FCFA ou 35 000FCFA si le bar enregistre suffisamment de revenus mensuellement.

Aziz BADAROU

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