Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, le président Talon a un incroyable talent. Il sait faire feu de tout bois quand il a un objectif sérieux à atteindre. Comme dans la fable du loup et l’agneau, il sait avoir la raison du plus fort. Il sait dire la main sur le cœur qu’il ne veut pas de la révision de la Constitution, qu’il n’est demandeur de rien, et est convaincu que ses présidentiels thuriféraires, ouailles et communicants, en prêchant exactement le contraire, lui feront réaliser le vrai résultat qu’il attend.
La chronique de la récente modification du Code électoral, obtenue à l’unanimité des députés de la majorité présidentielle, en lot de consolation à l’échec de la révision constitutionnelle, est trop claire. On ne peut plus se tromper sur les intentions qui nourriront l’action politique du président Talon durant les deux prochaines années qui nous séparent de son départ de la Marina. Après le rejet de la proposition de loi Assan Seibou, les députés devraient revenir aux requêtes que la Cour constitutionnelle leur a adressées par sa décision du 04 janvier 2024. Mais entre l’affirmation de son opposition à tout tripatouillage de la Loi fondamentale et la real politik, le chef de l’Etat, en grand patron et inspirateur de sa majorité, l’a convoquée in extremis à une masterclass de rattrapage. Il en est sorti un nouveau Code électoral le 06 mars 2024 qui ressuscite sa philosophie et sa praxis politique. Il n’aura pas tant rusé avec l’opinion publique et engagé un tel marketing de cette nouvelle loi pour ne pas la promulguer. Sauf si la Cour constitutionnelle venait au secours de l’agneau.
Code crisogène et d’exclusion
Suite à l’annonce de ce vote, deux déclarations majeures ont été immédiatement publiées. Celle des représentants du Collectif des confessions religieuses du Bénin, cosignée par Mgr Roger Houngbédji, archevêque métropolitain de Cotonou et président de la Conférence épiscopale ; Révérend Jésukon Pascal Sagbohan, aumônier national des cadres et leaders protestants méthodistes ; et Imam Ahmed Roufai Mani, commissaire au dialogue interreligieux de l’Union islamique du Bénin. Et celle de la Plateforme électorale des organisations de la société civile recommandant au chef de l’Etat de ne pas promulguer cette loi qui viole son serment d’être le garant de l’intérêt général, du bien-être commun, de la paix et de l’unité nationale. Malgré ces déclarations, le camp présidentiel poursuit sa logique de passage en force, comme il le fit pour le code de novembre 2019 qui a engendré des violences électorales, faute d’être inclusif pour l’ensemble des acteurs politiques.
Depuis ce vote, on assiste sur les médias à un défilé de charlatans et apprentis-loups parmi lesquels ne figure aucun juriste ni politiste de renom, pour soutenir ce nouveau code jugé crisogène et potentiellement explosif. Déjà, celui de 2019 appliqué à l’occasion des municipales de 2020 et de la présidentielle de 2021 avait déjà montré ses limites. Il avait forcé à recourir à une loi interprétative qui a fait des maires et chefs d’arrondissements, des élus nommés par les partis. Il a montré la fausseté congénitale du système de parrainage car ceux d’entre les députés qui ont osé parrainer des candidats de leur libre choix distinct de celui de leurs partis, ont subi en récompense la colère impitoyable de la « cosa nostra » pourtant restée apparemment silencieuse sur ce qu’elle considérait comme du libertinage politique. Ils ont été expulsés des listes électorales ou sanctionnés de positionnements perdants pour les législatives de janvier 2023.
Tout mandat impératif est nul
Cette interprétation des parrainages qui violait l’interdiction constitutionnelle de tout mandat impératif aux députés a été sanctionnée par la Cour Djogbénou. Mais cette jurisprudence établie ne résista pas aux machettes des députés de 2024. Alors que l’ancien code était déjà fortement critiqué pour les crises qu’il a engendrées parce que subordonnant l’élection d’un candidat à l’atteinte par son parti de 10% des suffrages au plan national pour être éligible à la répartition des sièges, le nouveau code a davantage corsé cette exigence. Désormais, il rehausse ce seuil non seulement à 20% mais pis, par circonscription électorale et non plus à l’échelle nationale comme prévu par l’article 81 de la Constitution. Or, en lien avec la volonté de faire du député un représentant de la Nation, la fixation d’un seuil à l’échelle nationale justifie la nullité de tout mandat impératif qui lui serait intimé par une communauté inférieure à la Nation entière, au nom du mandat représentatif.
Alors que l’ancien code n’exigeait aux candidats à la Présidentielle qu’un nombre de parrainages correspondant à 10% de l’effectif cumulé des députés et des maires en exercice, le nouveau porte désormais ce pourcentage à 15% du collège des parrains (totalisant 186) soit 28 provenant de 3/5ème des circonscriptions électorales, c’est-à-dire 15 circonscriptions. Sans compter qu’en violation d’une jurisprudence établie par la Cour Djogbénou selon laquelle le parrainage est non pas celui du parti mais celui de son député, le nouveau code consacre l’impossibilité pour ce dernier de parrainer un candidat à la Présidentielle qui serait distinct de celui désigné par son parti. En somme, il s’agit d’un mandat impératif aux députés, qui viole pour ainsi dire la Constitution.
Accords de gouvernance déconcertants
Les accords de gouvernance concertée inventés en 2020 pour favoriser le partage du pouvoir entre l’Upr et le Br dans certaines communes ont été vendus à l’opinion comme distincts des alliances en ce qu’ils visent, non pas la collaboration entre partis en vue de gagner des élections, mais la gestion partagée desdites communes. Voilà qu’aujourd’hui, pris de rage suite à l’échec de la révision de la Constitution, la même majorité favorable au président Talon, sous sa houlette, revient consacrer en double-violation de la même Constitution qu’elle a toute seule taillée à sa mesure en 2019, que les parrainages pourront être délivrés non seulement sous mandat impératif à l’intérieur d’un parti, mais possiblement au candidat d’un autre parti avec lequel on est en accord de gouvernance. Donc in fine, une alliance claire, même pas déguisée, en vue des élections, un pur ravalement de vomissures.
On l’aura compris, l’enjeu majeur des débats autour du rejet de la proposition de révision de la Constitution et du vote d’un code électoral révisé, est celui de garantir la longévité et la reproduction politiques des députés proches du président Talon, par un mur de sécurité afin d’en empêcher le franchissement par des intrus. Quant au chef de l’Etat, il ne pourra plus nier que cette manœuvre vise plutôt à faire sécuriser ses arrières par ses inconditionnels contrairement à ce qu’il a prétendu lors de son dernier show télévisé. A ce jeu, la bande à Lazare Sèhouéto et Malick Gomina, comme les surnomment les révisionnistes, ne devrait plus se faire d’illusion. Ces derniers prétendent après leur échec, qu’ils savaient que l’unanimité des députés Ld suffirait au rejet de la Constitution, mais qu’ils voulaient soumettre leur majorité à un test de fidélité au président Talon, afin de lui permettre de reconnaître avant son départ du pouvoir, ceux sur lesquels il ne peut jamais compter.
Plus que jamais identifiés à Olivier Boko, l’ami dont le spectre de la candidature hante le président Talon et qui est indiscutablement l’enjeu central de toute cette pagaille parlementaire, leur retour au bercail à l’occasion du vote de la nouvelle loi électorale – qui aurait d’ailleurs pu être adoptée sans eux – ne fera jamais oublier leur impardonnable péché. Seul l’He Basile Ahossi peut être félicité par Talon et les siens d’avoir tourné dos aux Ld pour voter la Loi de finances. Mais eux, non. Ils sont irréversiblement condamnés à se battre pour leur survie politique. Comme le chef de l’Etat et leurs collègues révisionnistes ont joué à sécuriser leur avenir politique après 2026. Sinon, à toujours croire leur destin garanti par l’Upr et le Br, ils finiront par rejoindre Souwi et Sado là où ils sont. Ils devront jouer à quitte ou double.
Angéla IDOSSOU (Collaboration)