Candidate de l’opposition, recalée à la Présidentielle de 2021 au Bénin pour défaut de parrainage, Reckya Madougou a été arrêtée le 03 mars 2021. Elle revenait d’un meeting conjoint avec Joël Aïvo, candidat du Front pour la Restauration de la Démocratie (FRD), quand elle a été interceptée sur le pont de Porto-Novo par un groupe de policiers cagoulés, armés jusqu’aux dents. Trimballée de la Brigade Criminelle à la Criet pendant plusieurs jours, Reckya Madougou sera placée en détention le 5 mars 2021pour des faits présumés de « financement du terrorisme ». Son calvaire venait ainsi de commencer. Aujourd’hui, 30 novembre 2023, cela fait exactement 1000 jours que l’opposante au régime Talon vit le supplice.
Ancienne Ministre de la Microfinance, de l’emploi des jeunes et des femmes, ancienne Garde des sceaux, ministre de la justice, de la législation et des droits de l’homme, ancienne conseillère spéciale du président togolais Faure Gnassingbé, experte en inclusion financière, Reckya Madougou est sollicitée par plusieurs gouvernements africains pour concevoir et mettre en œuvre des programmes dédiés au financement agricole, à l’emploi des jeunes, à l’autonomisation des femmes et à l’inclusion financière. Promise à un bel avenir de par ses compétences, son parcours, malgré son jeune âge, ses diplômes obtenus dans des universités de renommée internationale, son ascension connaître un frein en 2021, quand elle décida de se présenter à l’élection présidentielle dans son pays le Bénin. Alors qu’elle a encore tant à donner à son pays, à l’Afrique et au monde entier, Reckya Madougou est maintenue dans les liens de détention depuis 1000 jours, à la prison civile d’Apro-Missérété, en dépit des appels à sa libération de personnalités du monde entier et de l’avis du Groupe de travail de l’Onu sur la détention arbitraire (Gtda).
Le procès
Placée sous mandat de dépôt, le 05 mars 2021, le procès de l’opposante au régime de Cotonou s’ouvre 10 mois plus tard, soit le 10 décembre 2021. Reckya Madougou est poursuivie pour « association de malfaiteurs et terrorisme » devant la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet), une juridiction d’exception créée sous le régime Talon et qui a déjà condamné d’autres opposants à de lourdes peines. À peine un mois après l’arrestation de Reckya Madougou, l’un des juges en charge de l’affaire, Essowé Batamoussi, a démissionné et dénoncé les pressions politiques dont ses collègues et lui faisaient l’objet de la part du ministre de la justice de l’époque, Séverin Maxime Quenum. « Toutes les décisions que nous avons été amenés à prendre l’ont été sur pression, y compris celle qui a vu le placement de madame Reckya Madougou en détention. Dans ce dossier, nous avons été sollicités par la chancellerie (le ministre), car le dossier ne comportait aucun élément qui pouvait nous décider à la mettre en détention », avait-il déclaré.
Au bout de 20h d’horloge, d’un procès unique en son genre, Reckya Madougou a été reconnue coupable de « complicité d’actes terroristes » et condamnée à 20 ans de prison et 50 millions FCFA d’amende. Un procès auquel n’a pas pu assister le coordonnateur de sa défense, maître Antoine Vey, venu de Paris la veille. L’avocat français a en effet claqué la porte du procès en dénonçant la partialité du tribunal et les violations graves des droits de la défense : « Monsieur le président, votre juridiction ne présente aucune garantie d’indépendance », a-t-il lancé au juge Guillaume Lally avant de sortir. « C’est triste pour notre justice. Je maintiens qu’il n’y a pas de preuve. (…) « on a tordu le cou aux faits et aux preuves », a dénoncé le vétéran Robert Dossou, membre du collège des avocats de Reckya Madougou. «La Criet est la cour qui inflige dix ans ou vingt ans », ironise, à son tour, Me Ba Parapé.
Mais Reckya Madougou, voyant la manière dont la procédure était conduite, l’absence de preuves dénoncée par ses avocats, ne se faisait aucune illusion sur le verdict. Elle savait que son sort était scellé d’avance. Quelques minutes avant, lorsque le président lui a demandé si elle avait quelque chose à rajouter pour sa défense, elle a eu cette conclusion : « Aujourd’hui, je m’offre pour la démocratie. Si cela permet aux juges de la Criet de retrouver leur indépendance alors je n’aurais pas souffert inutilement ce calvaire ». « Je n’ai jamais été et je ne serai jamais une terroriste », avait déclaré Reckya Madougou, peu avant l’annonce de sa condamnation.
Des conditions de détention
Reckya Madougou en prison, les jours passent mais ne se ressemblent pas. Elle a connu l’isolement, puis la promiscuité. Elle a connu les brimades et les privations de ses droits les plus élémentaires. Quelques jours seulement après son arrivée au pénitencier d’Apro-Missérété, les alertes ont fusé sur le durcissement des conditions de détention de l’ancienne ministre. On parle de violation de la confidentialité des échanges entre la prévenue et ses avocats. La fréquence des visites de sa mère, seule personne qui lui apporte son repas quotidien, serait restreinte à trois jours par semaine, soit mercredi, samedi et dimanche uniquement.
Ce n’est qu’après les dénonciations de ses avocats, que ses conditions ont été quelque peu allégées. Mais pas pour longtemps. Lors d’une conférence de presse, en mars 2023, le parti Les Démocrates a encore fait cas des conditions corsées de détention de Reckya Madougou. « Depuis quelques mois, Mme Rékiatou Madougou subit de la part des autorités pénitentiaires diverses formes de torture qui ont abouti à un isolement suspect. Il ne fait plus l’ombre d’aucun doute qu’un plan machiavélique est ourdi pour non seulement la priver de ses droits inaliénables, mais à une exécution de ce qu’elle-même à dénommé « projet d’élimination à petit feu », lit-on dans la déclaration de Me Victorien Fadé du collectif des avocats de l’ancienne ministre Reckya Madougou. Pour illustrer ses propos, l’avocat rappelle que le 8 mars 2023, Mme Rékiatou Madougou a essuyé un refus de recevoir la visite des députés femmes du parti Les Démocrates.
« Cet nième durcissement de ces conditions intervient alors même qu’elle est la seule détenue interdite d’émettre des appels des cabines publiques de la prison depuis deux ans et sans raison. Elle ne peut appeler ni ses enfants, ni sa famille et on vient encore lui interdire l’accès à son avocat », dénonçait alors Me Victorien Fadé. Il lui était même impossible de joindre son médecin traitant, alors que sa santé est vacillante. Si entre temps, elle peut accéder au téléphone pour joindre sa famille, elle, comme les autres femmes de la prison, n’a pas accès à la télévision comme c’est le cas chez les hommes. En un mot, Reckya Madougou ne bénéficie pas, depuis son incarcération, de conditions standard de détention. Tantôt, c’est corsé, tantôt légèrement allégé.
Des appels à libération jusque-là tombés dans l’oreille d’un sourd
Depuis son arrestation jusqu’à sa condamnation à 20 ans de prison, les appels à la libération de Reckya Madougou viennent de partout. Au Bénin, des jeunes se sont mobilisés pour demander sa libération immédiate. Des personnalités ont écrit au chef de l’Etat pour plaider en sa faveur. Son parti politique Les Démocrates ne cesse de demander la clémence du chef de l’Etat. Des universitaires et hommes de culture dans le monde entier ont joint leurs voix à celles des Béninois épris de paix et de justice pour réclamer la libération de Reckya Madougou. Mieux, saisi par les avocats de l’experte en inclusion financière, le Groupe de Travail de l’ONU sur la Détention Arbitraire (GTDA), après enquête, a reconnu sa détention triplement arbitraire. Le Gtda a émis l’avis N°51/2022 qui demande la libération immédiate de Reckya Madougou, un dédommagement et l’ouverture d’une enquête indépendante pour identifier les auteurs de sa situation et situer leurs responsabilités. Mais tout comme les nombreux appels à sa libération, le gouvernement béninois reste sourd à l’avis du Gtda. Lundi 27 novembre 2023, le président Patrice Talon a encore opposé un refus catégorique à la demande de grâce présidentielle formulée par l’ancien président Boni Yayi, lors d’une rencontre entre le chef de l’Etat béninois et les responsables du parti d’opposition Les Démocrates.
Dans ces conditions, pour les amis et sympathisants de Reckya Madougou, l’option qui reste est le vote d’une loi d’amnistie en faveur de tous les prisonniers et exilés « politiques ». Ils espèrent que les députés de la majorité parlementaire trouveront le courage nécessaire pour voter ladite loi afin qu’une fois pour toute, le Bénin conjugue cette mauvaise parenthèse au passé pour que revienne la paix et la concorde.
En prison, mais toujours aussi engagée
Les 1000 jours de détention de l’Amazone Reckya Madougou n’ont faibli en rien son engagement. Non seulement, par ses chroniques, elle participe au débat sur divers thématiques. Sur sa page Facebook, elle partage ses convictions, contribuant ainsi au débat sur des questions de santé, d’éducation, du genre, etc. Par le biais de ses lieutenants qu’elle envoie régulièrement sur le terrain, Reckya Madougou organise des dons de sang, règle les factures de patients gardés dans des centres de santé publics pour non paiement de soins, offre des kits scolaires, des vivres et enveloppes financières dans des orphelinats, vient en aide à des anciens détenus comme elle, mais qui ont recouvré la liberté, la liste n’est pas exhaustive. « Saviez-vous qu’aider son prochain ne dépend que de notre cœur ? Dites-vous bien que pour aider il suffit de le désirer en faisant place à l’amour et la compassion dans notre profond intérieur. On a toujours quelque chose à donner autour de soi, riches comme matériellement démunis », déclare Reckya Madougou dans une de ses publications sur sa page Facebook.
1000 jours déjà passés en détention. Mais l’ancienne Garde demeure une source de motivation pour des milliers de jeunes, une personne au grand cœur qui pense toujours au bien-être de la veuve et de l’orphelin et des personnes vulnérables. Ces conditions difficiles de détention ont renforcé sa passion d’être pour ceux qui, comme elle, ploient sous les coups de la vie, une source d’espoir et de motivation.
Pour toutes ces personnes qui ont besoin d’elle, toutes ces personnes qui croient en son innocence, 1000 jours loin de ses enfants en bas âge, 1000 jours loin de sa famille et de ses amis, des orphelins à qui elle vient en aide, c’est trop. C’est assez !
M.M