(Descente sur des positions militaires ceinturant le parc W-Bénin)

En réponse aux attaques terroristes dans la partie septentrionale du Bénin notamment dans les zones frontalières avec le Niger, le Burkina-Faso et le Togo, l’Etat-major général des forces armées béninoises a déclenché, depuis bientôt deux ans, l’opération Mirador. Différentes composantes des forces de défense et de sécurité sont embarquées. Officiellement, on estime à 3000 le nombre de soldates et de soldats mobilisés pour enrayer le phénomène. Une descente sur plusieurs positions, au cœur du dispositif tactique de Mirador, Matin Libre vous fait vivre sommairement le quadrillage des zones d’action par l’armée qui, dans sa mission de protection de l’intégrité du territoire et de la vie des populations, veille au grain, jour et nuit. Après vous avoir fait voyager, spécifiquement dans le fuseau Ouest (département de l’Atacora), dans notre parution du lundi 11 septembre 2023, tâtez avec nous, dans la présente parution, la réalité dans le fuseau Nord (Alibori) de ladite opération.

 

Après le séjour dans le fuseau Ouest, nous voici désormais dans le fuseau Nord en provenance de Parakou qui abrite le quartier général, c’est-à-dire l’état-major de l’opération Mirador où nous avons fait escale, la veille. Environ 3 heures 15 de route, et notre cortège de voitures s’immobilisa, dans la soirée, dans l’enceinte du parc national W-Bénin précisément à la base technique et opérationnelle de African Parks. Tels des touristes, nous y passerons la nuit.

Le Parc Manager qui nous a accueillis nous rassure. Nous n’avons rien à craindre, les Rangers et les militaires font l’essentiel pour ce qui est de la sécurité. Le lendemain matin, aussitôt après le petit déjeuner au restau des Rangers de African Parks dans lequel nous avons d’ailleurs dîné, à deux pas d’une mare d’éléphants, nous amorçons notre journée de travail sur le terrain vers 9h15. Elle se résume en la visite de quelques positions militaires, échanges avec une autorité morale et la population sur la situation sécuritaire dans la commune de Kandi. Mais faisant d’une pierre deux coups, nous allons inclure le second jour dans ce fuseau où nous étions dans la commune de Banikoara pour le même exercice. Dans ce fuseau, sur toute la ligne, pas de déplacement par voie aérienne. L’accès d’une localité à une autre était facile même si les distances sont considérables. En attendant nos prochaines publications sur les appréciations et souhaits des populations sur les actions militaires, restons strictement dans le cadre du quadrillage du territoire et de la sécurité qu’assument les soldats dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

 

Position militaire d’Alfakoara

En effet, embarqués dans nos véhicules, juste un petit tour sur quelques mètres, toujours à la base technique et opérationnelle d’African Park, nous serons sur une position militaire : la compagnie d’Alfakoara. Géographiquement, c’est dans l’arrondissement d’Angaradébou, à Kandi. En présence du Lieutenant-Colonel Alain Alexis Adinsi, Commandant le Groupement tactique interarmes (Gtia) du fuseau Nord, le Lieutenant qui commande le sous Gtia d’Alfakoara va nous situer, à partir d’une cartographie fixée à un tronc d’arbre, sur la zone dont il a la charge : « Mon Colonel, la zone que voici représente la zone de responsabilité du sous Gtia. Elle est limitée au Nord par le sous Gtia Karimama, au Sud par le Pic Gtia, à l’Est par le sous Gtia Ségbana, à l’Ouest par le sous Gtia Point triple.

La zone couvre un front de 53Km sur une profondeur de 82Km, soit une superficie de 4346Km2. Notre zone couvre en partie le Parc national W, néanmoins nous avons des positions comme Kangara et Boiffo qui sont des localités habitées ». Et l’officier d’ajouter : « Notre mission est de participer au contrôle de zones du Gtia en vue d’instaurer un climat de sérénité propice à la libre circulation des biens et des personnes à l’intérieur de notre sous Gtia. L’exécution de cette mission passe par des tâches comme la patrouille que ça soit pédestre ou aérienne, nous faisons des dépollutions, nous tendons des embuscades, nous escortons des VIP et puis nous faisons des renseignements dans notre zone de responsabilité. Pour bien quadriller notre zone, le sous-Gtia dispose de six détachements à savoir le détachement de la Mare25, Barabô, pont Alibori, Kangara, Boiffo, et intermédiaire. Le détachement le plus proche est celui d’intermédiaire. Il se situe à 17 Km de notre position ici. Le détachement le plus loin est celui de la Mare 25 qui se situe à 82 Km de notre position ici ». Place à présent aux questions-réponses. « La menace dans le fuseau Ouest c’est beaucoup plus les IED (engins explosifs). Les attaques sont moindres. Ce sont les engins explosifs improvisés et les mines anti personnelles qui sont récurrents dans le fuseau Ouest. Ici (dans le fuseau Nord), ce sont des attaques sporadiques sur la population ou les forces de défense et de sécurité.

Les menaces sont relatives », répond le Lieutenant-Colonel Mathieu Hessou, commandant théâtre adjoint de l’opération Mirador. Parlant d’attaques, au regard des bilans, les ripostes des soldats dans le Gtia ne sont pas non plus en faveur des vis-à-vis. « La dernière attaque dans le fuseau Nord date du 29 mars 2023. Il y a eu accrochage avec le groupe Ansaru, à Goungoun dans l’arrondissement de Guéné. Au bilan, on a eu 7 terroristes neutralisés, les motos sont là, on a récupéré des armes. Des armes individuelles et semi-collectives », informe le Lieutenant-Colonel, commandant le Gtia, montrant séance tenante la moisson qui était d’ailleurs exposée à côté. Du côté des forces armées béninoises, « on a perdu un élément », fait-il savoir ensuite, en ajoutant que dans le rang de ces individus armés, « il y en a qui sont Burkinabés, Nigériens et Nigérians. Pas de Béninois ». A la suite de son collègue, le Lieutenant-Colonel Mathieu Hessou indique : « Jusqu’au 29 mars où on a eu contact avec ces messieurs, on a vu qu’il y a des gens d’Ansaru qui faisaient partie ou qui interviennent, ou qui ont l’intention d’installer une base à l’intérieur des parcs. Donc ils ont été interceptés et neutralisés. Et là, on a su à travers les inscriptions sur les motos. Nous, on se disait que c’était seulement les gars du Gsim.

Après cette attaque, on a compris que ce n’était pas seulement les gens du Gsim, il y a Ansaru aussi qui a tendance à opérer dans la zone ». Il renchérit : « A part ces indications, il y a les cartes (d’identité), les drapeaux des Etats islamiques, qui nous ont montré que ce n’est pas seulement les gars du Gsim et qu’il y a aussi d’autres groupes affiliés ou opposés qui veulent aussi s’installer pour mener leurs actions. A moto, ils voulaient traverser le parc. Ils traversaient du côté nigérian vers le Burkina. On a eu les renseignements fiables et ils sont tombés dans nos embuscades ». Si on peut parler en terme de prouesses, le Lieutenant-Colonel Alain Alexis Adinsi connu sous le sobriquet ‘’Vodoun’’ en raconte une autre : « Récemment à Kara, on a eu des renseignements que 04 terroristes étaient venus aux abords du parc W précisément dans le village Kofonou. Un ratissage a été fait, les 04 ont été neutralisés. Il y a juste 72 heures ». On était pratiquement fin août 2023. Avant ces informations complémentaires, déjà le 24 septembre 2023, l’état-major de Mirador parlait d’un total de 63 Individus armés non identifiés (Iani) neutralisés dont 42 dans le Gtia Ouest, 36 dans le Gtia Nord et 01 dans le Gtia Est depuis le début de l’opération. Quant aux interpellations de suspects, ils sont au total 169 dont 61 dans le Gtia Ouest, 17 dans le Gtia Est et 91 dans le Gtia Nord. La menace terroriste est donc permanente.

La commune mitoyenne Karimama en a encore connu, il y a quelques semaines. Conscientes de l’enjeu, les forces de défense et de sécurité qui ont enregistré aussi de leur côté, surtout au départ, des pertes en vies humaines et en matériels, réajustent souvent la stratégie pour ne laisser aucune marge de manœuvre à l’ennemi. « Depuis l’attaque de Karimama, le sous Gtia Karimama est renforcé, et il y a des positions jusqu’à Bako-Maka qui fait la limite avec le Niger. Nous entretenons une collaboration franche avec la population. Parfois elle constitue notre source de renseignement, néanmoins on fait attention parce que les autres les mobilisent aussi à faire partie de leur camp », déclare le Lieutenant Codo commandant le sous Gtia Alfakora, parlant de dispositions prises face à la situation sécuritaire.

 

Au rang des dispositions sécuritaires …

 Justement dans cette droite ligne, mais loin de la base militaire d’Alfakoara, nous assisterons, sur une autre position, à d’autres explications. « Là, vous avez un dispositif de patrouilles à motos. C’est des patrouilles qui sont conduites à l’intérieur du parc parce que sur les pistes non accessibles par véhicule, on utilise les motos », indique un militaire. Trois duos de  soldats armés sur trois motos avec l’éclaireur devant vont donc entamer la partie démo. « Ce dispositif ainsi constitué nous permet de réagir contre les attaques en attendant de mettre en place un dispositif pour contrer la menace. C’est le même dispositif à aller comme au retour. Ces patrouilles nous permettent de constater, à l’intérieur, s’il n’y a pas de présence humaine parce qu’il y a des zones interdites.

Donc lorsqu’on constate la présence de hameau ou d’indice de présence de personne, les renseignements sont menés et nous faisons ce qu’il faut », ajoute le même militaire. Et en cas de panne d’une des motos alors ?  « Celui qui est la-bas, vous voyez, lui n’a pas remorqué quelqu’un. Donc on fait en sorte qu’en cas de panne on puisse trainer la moto seule », répond-il. S’en est suivie une autre démonstration. Cette fois-ci une démo de dépollution appuyée en l’air par un drone télécommandé par deux militaires. L’appareil qui scrute le sol et peut être envoyé jusqu’à 5Km, sert à détecter les traces humaines, les objets suspects qui seraient déposés sur les itinéraires. On peut zoomer sur la radiocommande et voir nettement à l’écran ces objets.

 

Position Mékrou

Très loin de Kandi, sur la Rnie 7 (Route nationale inter-états), nous voici pratiquement au pied du pont Mékrou et du fleuve éponyme à environ 17Km de la frontière Burkina et de la borne zéro. La zone dont il s’agit est dans l’arrondissement de Soroko, commune de Banikoara, à l’ouest dans le département de l’Alibori. Militaires et agents de la Police républicaine cohabitent ici.  Le site situé à la lisière d’une brousse, est chargé de souvenirs. Les ‘’reliques’’ de  deux motos et lit brûlés y sont encore visiibles. « Ce qui s’était passé ici, c’était le 8 février 2020. Il y a eu une attaque. Les assaillants ont attaqué la position qui était un détachement de la Police du commissariat de Soroko. Après l’attaque, ils ont brûlé le poste. Il y a eu un de nos collègues qui a été emporté dans l’attaque, il a été tué. C’était la première attaque qui a fait monter le niveau d’alerte », se souvient le Capitaine Pascal Siyota commandant le sous Gtia Banikora. Difficile pour lui de dire le nombre total des terroristes ce jour-là puisque, dit-il, ce n’était pas en journée. Il y a eu d’autres incursions par la suite. « Le 30 Novembre 2021, il y a un de nos collègues qui était venu se doucher au niveau du fleuve, et il y a eu une rencontre avec deux éléments armés non identifiés. Et donc ils ont eu échanges de tirs et notre collègue a pu neutraliser un élément.

Le second a pu s’échapper. Leur premier mort a été enregistré ici avec des armes saisies », raconte le Capitaine. Il poursuit : « la nuit du 2 au 3 août 2023, j’ai été alerté par un riverain qui me faisait comprendre qu’il y a des éléments qui sont rentrés dans un hameau. Très tôt on a réagi. A notre arrivée, ils avaient déjà pris la fuite. On avait constaté qu’ils avaient déjà tué trois personnes. C’est après l’action de Kaobagou, le lendemain, que le problème s’est posé. Et la réaction a permis à l’armée de vite déjouer leur coup ». A défaut de s’attaquer aux forces de sécurité et de défense, la menace terroriste frappe parfois dans le rang des paisibles citoyens. « Les assassinats dans le rang des populations, il y en a qu’on retrouve morts, et on constate que c’était des éléments infiltrés qui viennent mener des actions et disparaissent. Il y a eu deux cas. Le 1er cas c’était la nuit du 31 janvier au 1er février 2023. Et le deuxième cas, c’est la nuit du 2 au 3 mai 2023 », laisse entendre le l’officier qui souligne par ailleurs que les infiltrations sur ce territoire ne sont pas fréquentes. Des bandits pourraient également profiter de la situation sécuritaire. « Depuis que le sous Gtia a été créé, ils ont posé beaucoup de positions dans la zone.

C’est quand on n’avait pas encore des détachements qu’on enregistrait des incursions par la forêt. Mais depuis un bon moment je pense que la situation est sous contrôle », fait savoir le commandant du sous Gtia, Capitaine. D’autres mesures qui ont concouru à cette « situation sous contrôle », c’est également celle dont parle le Lieutenant-Colonel Alain Alexis Adinsi Commandant Gtia fuseau Nord : « Et ici, à partir du Mékrou, nous avons bloqué tout passage de marchandises vers le Burkina. C’est pour empêcher les terroristes d’être ravitaillés. Parce que c’est les terroristes qui règnent à la frontière ». La décision a été prise il y a environ un mois par les autorités politico administratives de concert avec l’armée. « Ça a fait qu’ils ont des difficultés pour vivre là-bas. On a constaté qu’il y a du carburant qui passe d’ici pour les ravitailler et ils mettent dans leurs motos pour venir nous harceler. Et il fallait prendre des dispositions », souligne le Lieutenant-Colonel. Des travaux de bitumage de la voie sont en cours d’achèvement.

La voie pourra être rouverte mais c’est « jusqu’au moment où le Burkina aura la totalité de la sécurité de son territoire », signale le Commandant du Gtia fuseau Nord de l’opération Mirador. Il faut souligner qu’en dehors de cette position de Mékrou sur la Rnie7,  à 7km de la frontière, il y en a une autre « pour empêcher toute infiltration », renseigne le Capitaine Siyota qui souligne avoir de rapport franche collaboration avec la population, en particuliers avec certains « éléments » des villages jouxtant le parc W-Bénin.

 

Jacques BOCO

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