Crises des filières africaines et morosité du marché mondial : Pourquoi le coton béninois fait exception ?

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En octobre prochain, le monde du coton ne se retrouvera ni à Monte-Carlo pour le dîner de l’Association Française Cotonnière (Afcot), ni à Singapour pour la Conférence de l’International Cotton Association (Ica). La pandémie du Covid-19 les a reportés à l’automne 2021. Le risque sanitaire et la chute du prix du coton (de plus de 70 cents la livre en janvier 2020 à 52 cents en mars 2020) ont été rejoints dans ce lugubre décor par la fragilité structurelle des filières et sociétés cotonnières d’Afrique. C’est pourtant dans ce contexte que le coton béninois se porte au mieux de sa forme et signe les plus prometteuses perspectives de son histoire.

 

Les professionnels mondiaux de l’export, du négoce, du transport, du textile et des autres services connexes de l’industrie du coton, tous aussi inquiets les uns que les autres, se demandent à quoi tiennent la succession des records du Bénin et l’excellente rémunération qui ce pays offre à ses producteurs pour la prochaine campagne 2020/2021. Le Mali, ex-premier producteur du coton africain, payera 200 fcfa le kg de coton-graine contre 275 fcfa en 2019/2020. Le Burkina-Faso, prédécesseur du Mali à la couronne continentale, l’achètera quant à lui à 215 fcfa, soit une chute de 20% par rapport aux 265 fcfa de la campagne précédente. Même les plus modestes pays producteurs ne sont pas épargnés. Par suite de déséquilibres internes, l’État togolais a décidé de céder à la multinationale OLAM, ses 60% de participations au capital de la Nouvelle Société Cotonnière du Togo (NSCT), tout comme le Tchad l’eût décidé, un an plus tôt, en faveur du même repreneur singapourien.

La croissance par l’amélioration variétale et des sols

Le Bénin vient d’améliorer son record de 2018-2019, en s’offrant le lead du coton africain pour la seconde campagne consécutive. Pour y parvenir, il lui a fallu mettre en œuvre une stratégie de zonage par spécialisation variétale. Dès la campagne 2016/2017, les chercheurs béninois ont recommandé à l’Aic de passer d’une variété de semence unique à l’échelle nationale, à trois variétés de semences adaptées à chacun des bassins cotonniers du pays : une première variété pour le Haut-Nord (Alibori et Atakora) ; une deuxième pour le Moyen-Nord (Borgou et Donga) et le Centre (Collines) ; et une troisième pour le Sud (Zou, Mono, Couffo, Ouémé et Plateau).

Il s’agissait là, de la base fondatrice des Bonnes Pratiques Agricoles (BPA) qui, dans le respect strict des périodes recommandées, vont de la réalisation des semis à l’entretien de la culture en passant par une prescription sur-mesure des modes et doses d’épandage des engrais, selon qu’on est dans le Nord et le Haut-Centre ou dans le reste du Centre et le Sud.

L’appropriation par les producteurs des modifications variétales intervenues a nécessité la mise en place d’un dispositif d’encadrement comprenant, de la base au sommet, des conseillers agricoles pour les villages ; des coordonnateurs communaux ; des délégués régionaux et un service production, formation-conseil agricole et mécanisation au niveau national rattaché au secrétariat permanent de l’Aic.

Après deux campagnes de remise en ordre de 2016 à 2018, le Bénin a pour la première fois de l’histoire de sa filière cotonnière, dépassé en production, sa capacité théorique d’égrenage qui est de 612.500 tonnes. Resté pendant longtemps mythique, cet objectif a été atteint au terme de la campagne 2018-2019 avec une production de 678.000 tonnes récoltées sur 656.000 ha, soit un rendement de 1.033 kg/ha. Double performance car ce niveau de production consacrait également le Bénin pour la première fois au sommet du coton africain, d’une mince avance devant le Mali qui totalisait 660.000 tonnes. Mais le Bénin n’avait pas encore pour autant atteint le record absolu 728.000 tonnes détenu depuis une saison plus tôt par la filière malienne.

Au terme de la campagne 2019-2020 et avec une production nationale de 714.700 tonnes, le tenant du titre a certes battu son précédent record mais reste toujours en-deçà du record absolu du Mali dont le cumul des surfaces cultivables égale quatre fois la superficie totale du Bénin. Produite sur 666.000 hectares, cette récolte marque une amélioration du rendement moyen qui passe de 1.033 kg à 1.074 kg par hectare. De cette production, le coton conventionnel compte pour 712.000 tonnes et le coton biologique pour environ 2.700 tonnes.

Outre le réaménagement variétal, un second jalon de la croissance avait été posé depuis la campagne 2017-2018 et devait modifier les rapports de la filière coton avec le premier déterminant de la production, le sol. En effet, Les cultures qui ne sont pas fumées sont celles qui appauvrissent le plus les sols. Dans un pays agricole comme le Bénin, l’État considère la mise à disposition de sols en bon état de fertilité au profit des paysans, comme une obligation constitutionnelle, le sol étant la première dotation essentielle à la garantie de leur épanouissement et de leur survie. C’est pourquoi depuis 2010, l’Aic s’est fait livrer un premier lot d’amendant phosphocalcique pour la fumure à titre expérimental des sols destinés aux semis du cotonnier, en vue de corriger l’acidité qu’ils ont acquise au fil des campagnes. Mais en raison de la crise institutionnelle intervenue dans la filière coton, l’amendement des sols au moyen de cet engrais de redressement n’a effectivement démarré que sept années plus tard, au titre de la campagne 2017-2018. Il s’est poursuivi au cours des deux campagnes suivantes avec des quantités de plus en plus importantes pour restaurer davantage de sols, sans compter que les engrais traditionnels (Npk et Urée) continuent normalement d’être utilisés pour la fumure d’entretien.

La croissance par le revenu, la transformation et l’assainissement

Quand on parle du prix d’achat du coton graine, il ne faut pas se limiter au quantum net perçu par le producteur, mais au brut que paye l’égreneur pour avoir droit de propriété sur un kilogramme. Ce prix est en réalité de 280 fcfa/kg payés par les sociétés d’égrenage. De ce montant, il est déduit 15 fcfa/kg, dont 10 fcfa sont destinés au financement des fonctions critiques (encadrement paysans, réfection des routes et pistes cotonnières, contrôle de qualité et classement coton, etc.) et 5 fcfa à l’abondement du compte des réserves stratégiques. C’est justement ces réserves qui ont financé l’acquisition et la mise en place de l’amendement phosphocalcique apporté aux sols, pour accroître leurs rendements.

Du prix de 280 fcfa, il reste donc 265 fcfa, le revenu net payé au producteur par kilogramme. Selon l’Aic, ce revenu a été maintenu pour ne pas briser la tendance à l’amélioration des rendements et de la production ; et pour surtout ne pas faire payer au paysan, la facture des situations exogènes intervenues ces derniers mois. Car après avoir couvert voire dépassé la capacité nationale d’égrenage, il est envisagé de la redimensionner par rapport au potentiel de production cotonnière actuel par l’installation programmée de nouvelles unités industrielles dans une approche d’aménagement du territoire et de rentabilité de la filière.

Pour la saison 2020/2021, l’Aic table sur une prévision de 805.000 tonnes à récolter sur 700.000 ha, soit un rendement porté à 1.150 kg/ha. Pour maîtriser au mieux la production attendue, la nouvelle usine installée par la Sodeco à Kérou a été rodée de janvier 2020 à la fin de la dernière campagne d’égrenage. Elle sera exploitée à pleine capacité en attendant la mise en service d’une autre usine qui sortira de terre à Djougou. L’ambition affirmée est de relever à moyenne échéance la capacité d’égrenage à 857.500 tonnes. Les sociétés d’égrenage accroîtront chacune leurs capacités en veillant à rapprocher le plus possible, les unités des régions de production, afin de faire jouer au coton, son rôle dans la promotion des économies locales, la lutte contre le chômage et l’accroissement des revenus des mairies et des ménages.

Pour ménager la solvabilité des organisations paysannes face au risque de surendettement par les établissements financiers, l’État vient de voler au secours de la filière cotonnière à travers un arrêté interministériel qui instaure une surveillance des Imf, souvent enclines à inciter les Coopératives villageoises de producteurs de coton (Cvpc) à des emprunts disproportionnés par rapport à leurs besoins réels. Derrière ces équilibres recherchés, il y a une volonté de mieux révéler le Bénin par le coton et d’en faire le moteur de la croissance économique en cours. Il y a surtout l’engagement de préparer la filière cotonnière à porter le grand projet de transformation textile dont les conditions de réalisation se mettent progressivement en place.

 

Jocelyn N. NENEHIDINI

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