
A la faveur d’une interview, le professeur Nouréini Tidjani Serpos, ancien sous directeur général de l’Unesco a déploré le silence remarqué autour de la commémoration de la journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition ce samedi 23 août 2014 par le gouvernement. A cette occasion, il a déploré la non implication du gouvernement et veut que le président Yayi Boni décide personnellement de marquer l’évènement pour institutionnaliser cette mémoire avec la route de l’esclave.
Matin Libre: Aujourd’hui, nous sommes le 23 août 2014 et on célèbre la journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition. C’est sûrement un jour à ne pas oublier, cette date-là.
Nouréini Tidjani Serpos: Absolument, la journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition a été inaugurée en Haïti par l’Unesco le 23 août 1998. C’est une journée qui commémore la révolte des esclaves dirigée à Saint Domingue. C’est l’île qui va devenir Haïti. Et c’est dans le nord de cette colonie française de Saint-Domingue que la révolte a eu lieu dans la nuit du 22 au 23 août 1791. Cette révolte devrait jouer un rôle détonateur dans l’abolition de l’esclavage. Les écoles du monde entier sont appelées conformément à la résolution 4029 C de la conférence générale de l’Unesco à célébrer cette journée en organisant des défilés, des représentations théâtrales, des expositions, des conférences sur le thème des droits de l’homme et aussi à rappeler la lutte contre les formes modernes d’esclavages. Il s’agit d’institutionnaliser la mémoire, il s’agit de ne pas oublier que « le bourreau tue deux fois ». La première fois par l’épée, la deuxième fois par le silence. Il faut absolument empêcher le silence de s’installer sur cette immense tragédie qui a fait la déportation de dizaines de millions d’Africains vers les Amériques. Le programme : « la route de l’esclave » a été lancé au Bénin, c’était à Ouidah. C’était le ministre Francisco qui était à l’époque le ministre et dans tous les Etats, il était prévu que les programmes scolaires devraient être revus de telle sorte que dans ces programmes-là, nos élèves, nos enfants puissent avoir une part de cette institutionnalisation de la mémoire. Mais bizarrement, le Bénin qui non seulement a avec Haïti lancé l’idée de la résolution de la route de l’esclave, aujourd’hui se tait. Il n’y a rien, strictement rien, aucun programme scolaire comme ça été prévu n’a été fait. Il y a comme une amnésie historique et c’est très important et j’en appelle solennellement au chef de l’Etat, au président de la République pour que quelque chose soit fait, pour que nous puissions ne pas oublier. Il est très important que cette journée internationale du souvenir de l’abolition de la traite négrière soit une journée fondamentale pour nous. Tout le monde sait la part que le Bénin a eu à prendre dans la traite négrière, tout le monde sait l’effort énorme qui était fait par le régime de Soglo pour institutionnaliser cette mémoire avec la route de l’esclave à Ouidah. Mais aujourd’hui c’est un silence qui nous questionne, qui pose énormément de problème. Au niveau des ministères de l’Enseignement, il y a un silence mortel et c’est absolument incompréhensible qu’une journée aussi importante pour notre mémoire, pour notre histoire puisse passer comme ça sans que personne ne le dise. Il faut que le chef de l’Etat fasse quelque chose, il faut qu’on dise que cette journée-là est incontournable dans notre pays. Sinon nous serons un peuple sans mémoire, nous serons un peuple qui joue avec son passé. Donc c’est dans ce sens que je pense que cette journée internationale du 23 août a des objectifs très précis. Et surtout que maintenant au niveau des Nations Unies, on va lancer bientôt, c’est déjà adopter, c’est le lancement qui va commencer, la colonie des peuples d’ascendance africaine. Ça va de 2014 à 2025. Et donc c’est extrêmement important, cette année c’est encore plus important parce que Haïti est en train de célébrer le 210 è anniversaire de libération de l’esclavage et de l’institutionnalisation de la mémoire. Mais qu’est-ce que nous faisons ? Pourquoi ce silence mortel ? Pourquoi nous ne sommes pas debout mobilisés ? Pourquoi il n’y a pas d’activités culturelles partout ? Pourquoi dans nos écoles, on n’a pas préparé ce travail-là ? Pourquoi les moyens n’ont pas été mis à la disposition des enseignants pour que l’on puisse réveiller, expliquer aux enfants, dire ce que c’est ? Je crois que le chef de l’Etat a ici une responsabilité personnelle. Nous ne pouvons pas jouer avec notre mémoire, nous ne pouvons jouer avec notre passé. Il faut que quelque chose soit fait. Nous pouvons encore rattraper le retard au lieu d’avoir une journée internationale, il peut décider que ce soit une semaine nationale qui est consacrée à ce sujet-là. Des instructions doivent être données pour qu’on commence à revoir nos programmes et que nous puissions savoir que nos enfants ont dans leurs programmes d’histoire des éléments leur permettant de ne pas oublier le passé.
La célébration de la journée du souvenir de l’abolition de la traite négrière, coïncide avec le 20ème anniversaire de la route de l’esclave. Comme vous le disiez, il faut creuser le silence. Est-ce que c’est pour anticiper par rapport à l’institutionnalisation de la mémoire que vous avez tout fait pendant que vous étiez encore à l’Unesco pour que la route de l’esclave soit une réalité alors que Haïti pouvait profiter de cette initiative de l’Unesco ?
Haïti a profité de cette initiative de l’Unesco puisque c’est Haïti et le Bénin qui étaient les parrains de cette résolution qui a créé la route de l’esclave. Nous étions les deux Etats parrains et donc de ce point de vue là, il n’y a de problème. A l’heure actuelle, ce qui est important et que la Directrice générale de l’Unesco dans son message sur la journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition, elle a également insisté sur le fait que tout le monde, tous les Etats membres doivent participer à la création d’un mémorial permanent en hommage aux victimes de la traite transatlantique des esclaves. Et ce mémorial sera installé au siège des Nations Unies à New York. Donc elle en a profité pour appeler tous les Etats membres et les partenaires de l’Unesco, dans les écoles, les universités, les médias, les musées et les lieux de mémoire, à marquer cette journée internationale et à redoubler d’effort pour que le rôle joué par les esclaves dans la reconnaissance des droits humains universels soient mieux connus et davantage enseignés. Cet appel d’Irina Bokova est extrêmement important. Il y a également cette phrase de Wolé Sognika qui est prix Nobel de Littérature, qui a dit ceci : « quiconque a visité les cellules de Goré ou parcouru la route des esclaves de Ouidah jusqu’aux lieux d’embarquement ne peut s’empêcher qu’il soit Africain ou non Africain, d’éprouver le sentiment d’un véritable pèlerinage spirituel. ». Ce point de vue de Wolé Sognika nous interpelle aussi. Qu’-est-ce que nous allons continuer de faire ? Est-ce que nous allons nous battre ? Est-ce que nous allons faire en sorte que nous puissions participer au lancement de ce mémorial ? Est-ce que nous sommes à même de nous demander si chaque Béninois donnait simplement un franc pour ce mémorial ? Ça sera 10 millions de FCFA pour ce mémorial. Et ce sera peut être notre contribution à l’effort que nous sommes en train de faire pour que ce mémorial soit mis debout. Je pense qu’il y a des choses à faire. Il faut que cette journée nous interpelle et il faut qu’on se mette debout. Et une fois que nous serions debout, nous ne pouvons qu’aller de l’avant.